Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
Vom Netzwerk:
boue.
    « Comment vont vos hommes ? demanda l’officier.
    – Ils vont bien. »
    Ils s’assirent sur le côté de la piste. « Erreur, d’avoir entrepris ça, hoqueta l’officier. Faut passer, pourtant. »
    Le corps noué et sec de Croft avait relativement bien résisté à l’effort, mais sa voix était coupée et les mots éjaculaient de sa bouche, courts et rapides. « Loin encore ? demanda-t-il.
    – Un mille… un mille encore. Plus de la moitié du chemin, je crois. On n’aurait jamais dû entreprendre ça.
    – Ils en ont besoin d’urgence, de ces canons ? »
    L’officier garda un court silence, s’efforçant de parler naturellement. « Je le pense… ils n’ont pas d’armes contre les tanks, là-bas., en ligne. Nous avons repoussé une attaque deux heures plus tôt… au troisième bataillon. Ordre d’amener des antichars au premier bataillon. Suppose qu’ils s’attendent à un assaut, là-bas aussi.
    – Vaut mieux y aller », dit Croft. Il se sentait dédaigneux à l’endroit de cet officier, qui avait cru devoir lui parler. Il aurait dû être capable de s’occuper tout seul de son boulot.
    « Je suppose, oui. > L’officier se leva, s’appuya un instant contre un arbre. « Si vous tombez en panne avec un canon, faites-moi savoir. Un ruisseau à traverser… là devant. Mauvais endroit, je crois. »
    Il s’en fut en tâtonnant, et Croft s’en retourna à son canon. La colonne s’était allongée sur deux cents mètres. Ils se remirent en marche. Une ou deux fois une fusée répandit une blême, bleuâtre lueur au-dessus d’eux, une délicate lueur qui se perdait dans l’épais du feuillage. Le bref instant de clarté les surprenait a leurs canons, dans l’attitude classique de l’effort où se voyaient le style et la grâce des bas-reliefs antiques. Leurs uniformes étaient doublement noircis, sous l’effet de l’eau et de la boue ; et leurs faces, sous l’éclat diffus, apparaissaient blanches et contorsionnées. Même les canons avaient une beauté svelte et articulée, semblables à des insectes assis sur leurs pattes antérieures. Puis les ténèbres se rabattaient sur eux en tournoyant et la colonne aveugle poussait de l’avant – une file de fourmis qui traîne la charge vers la fourmilière.
    Ils avaient atteint cet état de fatigue où tout devient haïssable. Un homme glissait dans la boue et il y restait, la respiration rauque, sans désir de se relever. Ses compagnons s’arrêtaient, attendaient – privés de mouvement, qu’il se relevât. S’il leur restait une trace de souffle, ils juraient.
    « Putain de merde de boue !
    – Lève-toi ! criait quelqu’un.
    – Magne-toi ! Enfourne-le, ce sacré bordel de canon !
    – Laisse-moi. Je suis bien où que je suis, y a rien de mal avec moi. Je suis bien, laisse-moi.
    – Lève-toi, enfant de pute ! »
    La peine reprenait jusqu’à la halte suivante – à quelques mètres plus loin. Dans ces ténèbres la distance n’avait aucune signification, ni le temps non plus, lis n’avaient plus chaud ; ils frissonnaient et tremblaient dans la nuit humide, ils n’étaient que fange et bran ; ils puaient, mais non plus d’une puanteur animale ; la nauséabonde pourriture de la jungle avait pénétré leur peau, et un relent putride d’humus et de fèces emplissait leurs narines. Tout ce qu’ils savaient c’était qu’ils devaient aller de l’avant ; et si l’idée du temps effleurait leur esprit, c’était que chaque seconde s’accompagnait d’un hoquet de nausée.
    Wyman se demandait pourquoi il ne s’écroulait pas. Son souffle s’échappait de lui en de longues, brûlantes secousses, les courroies de son paquetage l’écorchaient, ses pieds étaient en feu, et il n’aurait même pas été capable e parler car un feutre de laine semblait tamponner sa poitrine et sa gorge et sa bouche. Il n’était plus conscient de la puissante, fétide puanteur qui levait de son uniforme. Quelque part profondément en lui-même quelque chose s’étonnait de son endurance. Il était naturellement paresseux, ne travaillant jamais plus qu’il n’y était obligé, et il évitait de son mieux la peine, l’effort musculaire, l’essoufflement, le goût de la fatigue. Il avait eu de vagues rêves d’héroïsme, présumant que cela lui vaudrait quelque fabuleuse récompense qui lui faciliterait l’existence et résoudrait son problème de subvenir aux besoins de sa mère. Il avait une

Weitere Kostenlose Bücher