Les Nus et les Morts
pointe de honte au cœur il venait de comprendre que pour la première fois dans sa vie il avait réellement eu peur,. « Les fils de pute de Japonais », dit-il. Il avait repris le chemin de son trou, marchant sur ses jambes fatiguées. « Je hais ces bâtards », se dit-il. Une rage terrible dilatait son corps exténué.
« Un de ces jours je vais vraiment me payer un Japonais », grommela-t-il. La rivière emportait lentement les corps au gré du courant.
« Au moins, dit Gallagher, si des fois qu’on va rester ici un ou deux jours, au moins ces encules ils vont pas empester le coin, »
LA MACHINE A FAIRE LE TEMPS
SAM CROFT, LE CHASSEUR
Un homme décharné, de taille moyenne, mais il se tenait si droit qu’il en paraissait grand. Sa face étroite et triangulaire était absolument sans expression. Ilien ne semblait superflu dans le modelé de sa mâchoire dure et petite, de ses joues fermes, de son nez court et droit. Son regard de glace était très bleu… il était compétent et fort et ordinairement vide, et la tournure générale de son esprit était celle d’un mépris supérieur à l’endroit de presque tout le monde. Il haïssait la faiblesse et il n’aimait pour ainsi dire rien. Une crue, une informe vision habitait son âme, mais il n’en prenait que rarement conscience.
Non , mais pourquoi Croft est comme cela ?
Oh ! les réponses ne manquent pas. Il est comme cela à cause de la corruption-de-la-société. Il est comme cela parce que le diable l’a reconnu pour l’un des siens. C’est parce qu’il est Texien ; c’est parce qu’il a renoncé à Dieu.
Il est cette espèce d’homme parce que la seule femme qu’il ait jamais aimée l’a trompé, ou bien il est né comme cela, ou bien il a eu du mal à s’adapter.
Le père de Croft, Jesse Croft, aimait à dire : « Ben, voilà, mon Sam est un vilain garçon. Je dois reconnaître qu’il est né vilain. » Puis, songeant à sa femme souffrante, une personne faible et douce, Jesse Croft ajoutait parfois : « Pour sûr Sam a bu le lait de sa mère pareil qu’un autre de mes gars, mais je me figure que le jus a tourné aigre tout juste pour lui parce qu’autrement il l’aurait pas digéré. » Il ricanait, se vidait le nez dans les doigts, se les essuyait sur sa fesse, le long de sa salopette bleu pâle. (Debout face à sa grange de bois délabrée, le sol rouge et sec du Texas de l’ouest sous ses pieds.) « Ben, je me rappelle une fois j’ai emmené Sain à la chasse, il était encore un bout de nabot de rien du tout, à peine assez grand pour épauler un fusil… mais il a été mauvais dès sa naissance. Et je vous le dis, il n’aimait pas qu’on se mêlait de ses affaires. Une chose qui l’agaçait toujours, çà, même quand il était un bout de bâtard de rien du tout.
« Pouvait pas supporter qu’on le battait à rien du tout.
« Rien à faire qu’il obéissait. Je le cognais qu’il pissait le sang, et puis rien, il disait jamais un mot. Il me regardait tout juste comme s’il pensait me flanquer une tournée, ou peut-être me tirer une balle dans la tète. »
Croft fut à la chasse jeune. En hiver, dans le désert frisquet du Texas, c’était un voyage engourdissant d’une vingtaine de milles par des chemins défoncés où la poussière soufflait comme une poudre d’émeri dans la vieille Ford découverte. Les deux hommes sur le siège devant parlaient peu, et celui qui ne conduisait pas soufflait dans ses mains. Quand ils atteignaient la forêt, le soleil n’avait pas encore réussi à se hisser par-dessus la cime des arbres.
Maintenant regarde, petit, tu vois cette trace, c’est des foulures de cerf. Y a guère d’homme qu’est assez malin pour dépister un cerf. T’as qu’à t’asseoir, et puis t’attends du côté où c’est que le vent souffle du cerf vers toi. Faut que t’attendras longtemps.
Le garçon reste assis dans-la forêt. Il tremble de froid. Je suis baisé si que j’attends mon vieux cerf. Je m’en vas les dépister.
Il marche à grands pas dans la forêt, avec le vent contre son visage. Il fait sombre, et les arbres sont d’un brun argenté, et le sol de velours est d’un vert-olive profond. Où qu’il est, ce vieux cerf ? Il donne un coup de pied dans une branche sur son chemin, et il se raidit car un daim passe au galop dans les fourrés. De Dieu ! Vieux cerf va vite.
La fois suivante il est plus prudent. Il trouve des foulures de cerf, s’agenouille,
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