Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
s'exagérer la portée de ce nouvel état d'esprit, mais on doit constater seulement qu'au retour d'Italie, Lamartine souffrit d'une rechute aiguë de sa neurasthénie.
CONCLUSION - LAMARTINE À VINGT ET UN ANS
Les enfants qui naquirent du début de la Révolution à la fin de l'Empire connurent tous une jeunesse à peu près identique ; elle influera profondément sur leurs destinées futures et déterminera jusqu'en 1830 le malaise général appelé romantisme et qu'il ne faut pas limiter à la seule littérature.
Cette jeune génération a été jugée de trois manières différentes, mais qui toutes se justifient aisément pour peu que nous nous replacions dans les conditions où ces opinions contradictoires ont été formulées.
Aux yeux de leurs parents, gens du xviiie siècle et endurcis par les rudes épreuves de la Révolution, ces adolescents apparaîtront le plus souvent comme des incapables et des inutiles, désarmés devant l'existence, amollis par leur éducation toute féminine et qui rompent avec les saines traditions de la famille. Les mères les ont élevés jalousement, avec la crainte éternelle de les voir parcourir l'Europe à la suite du conquérant : ainsi tenus à l'écart de la seule activité que connurent les hommes d'alors, puisque la politique était muselée, ils se réfugièrent entièrement dans le monde de la pensée ; l'énergie virile finit par s'user chez cette jeunesse contemplative et câlinée et leur âme n'exista bientôt plus comme volonté, mais comme sensibilité.
À leurs propres yeux, ce qu'ils parviendront à voir de plus clair en eux-mêmes sera l'indécision de leur nature, incapable de rien fixer, déroutée qu'elle est par le contraste absolu du milieu et de leur personnalité. Les principes du passé dans lesquels ils ont été élevés leur pèsent durement, car ils ne cadrent plus avec les conditions de la vie nouvelle et surtout avec l'âme que les événements leur ont faite.
Il en résultera un conflit perpétuel de sentiments intérieurs, une incertitude du but à atteindre, en un mot un véritable déséquilibre moral où le découragement et la lassitude finiront par dominer. À force de ne voir personne autour d'eux répondre aux passions, d'ailleurs indécises, qui les tourmentent, ils en arriveront vite à se croire différents du reste du monde, les uns avec orgueil, les autres avec tristesse ; de bonne heure tout effort leur paraîtra vain, et ils vivront dès lors entièrement en eux-mêmes, dans une solitude mélancolique qui achèvera d'exaspérer leur sensibilité et de ruiner leur énergie morale.
Aux yeux de la postérité enfin, ils seront des individus encore hésitants et isolés, doutant de leur destinée jusqu'au jour où le groupement en commun les révélera à eux-mêmes en apportant à chacun la preuve que les sentiments confus et contradictoires qui l'agitent ne lui sont pas particuliers.
Lamartine à vingt et un ans résume en lui tous les caractères de ces jeunes âmes inquiètes où le passé et le présent se livrent une lutte de tous les instants. À considérer le romantisme comme une expansion débordante de l'individu, il est en date et en fait le premier des romantiques ; il devient au contraire le dernier des classiques si l'on étudie le mouvement littéraire de son époque en tant qu'affranchissement des vieilles formules. C'est qu'en réalité son œuvre reflète sa vie même, classique de forme, romantique de pensée, comme toute son adolescence où l'on assiste au conflit quotidien de ses aspirations très romantiques et de son éducation très classique.
Dans toute destinée, il est une part dont l'homme n'est pas responsable, faite de trois éléments infiniment délicats et qu'il est difficile d'apprécier à leur valeur.
L'un comporte ce que les ancêtres lui ont transmis d'instincts ataviques, peu à peu anéantis, modifiés ou développés selon les circonstances ou les conditions nouvelles de la vie ; l'autre est l'œuvre de ceux dont il dépend pendant son enfance et qui assument la tâche de façonner son âme au moment où elle est encore molle ; le dernier, enfin, comprend la manière dont la société l'accueille le jour où il est forcé d'avoir recours à elle, avec sympathie, pitié, mépris ou indifférence. C'est leur étude que nous avons tentée pour Lamartine dans les pages qui précèdent et il nous semble que si on voulait maintenant les résumer brièvement il serait possible de le faire
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