Les panzers de la mort
comme s’il avait lu dans ma pensée, Il s’écria : – Heureusement que le sort ne m’a pas désigné ! J’aurais eu trop de mal à quitter la maison !
Il n’en pensait pas un mot et savait que je n’étais pas dupe.
En revanche, Petit-Frère fut beaucoup plus simple. Après m’avoir menacé d’une raclée si je ne lui cédais pas mon tour, Il offrit ensuite de me l’acheter. Aussitôt Porta fit de la surenchère, puis tous essayèrent de me griser pour m’amener à vendre mon titre de permission. Mais je tins bon et mon train s’ébranla aux chants d’adieu de mes camarades.
Après avoir trouvé un train sanitaire à Jitomir, j’avais pris à Brest-Litowsk un convoi de permissionnaires et, de cette façon, je gagnai près d’un jour sur le parcours.
Ce matin, à l’aube, sur le chemin du retour, j’ai repassé par Brest-Litowsk et nous voila ce soir à Minsk dans une gare pleine de nuit. Les trains en instance de départ sont bondés de soldats ; Il y en a partout, dans les filets, sous les banquettes, dans les couloirs, aux toilettes, pas un millimètre de place. Je suis si fatigué que je peux à peine me tenir sur mes jambes. Il me faut faire viser mes papiers par l’officier de la gare de Minsk, ainsi que ma feuille de route qui porte : Berlin-Minsk, par Lemberg-Brest-Litowsk.
Au bureau de la gare un sous-officier met les tampons réglementaires et me dit : Tu vas aller à Viasma. Là, l’officier de la gare t’indiquera ta route. Dépêche-toi, ton train va partir. Voie 47.
Le lendemain vers 15 heures, j’arrive enfin à Viasma. Fourbu, trempé, j’avais faim. Dans une demi-obscurité je découvre le P. C. de l’officier. Un sous-officier prend mes papiers, disparaît, puis revient quelques instants plus tard, escorté d’un capitaine vieux et obèse. Jambes écartées et poings sur les hanches, il se plante devant moi en me dévisageant méchamment.
– Qu’est-ce que ça signifie ? dit-il en Croassant, vous vous amusez à parcourir la moitié de la Russie pour venir ici ? Vous voulez donc vous planquer ?
L’œil morne, je me tenais au garde-à-vous. On entendait les bûches Craquer dans le poêle. – Ha perdu sa langue, reprit le Capitaine. Allons ! avouez, vous vouliez vous planquer ?
Attention Sven ! Tâche de trouver la bonne réponse. Dieu que ce capitaine sent mauvais !
– Oui, mon capitaine.
– Qu’est-ce que j’entends ? grinça-t-Il. – Dans le poêle ouvert les petites flammes continuaient leur jeu de cache-cache. On devinait leur délicieuse chaleur. A quoi bon y penser ? La permission n’est-elle pas terminée ?
– Je déclare respectueusement à mon capitaine que je fais le tour de la Russie.
– Ah ! l’animal, Il avoue ! c’est malin ! Et bien, mon gaillard, vous allez commencer par prendre cette, chaise, la tenir à bout de bras et faire dix sauts surplace. Ensuite nous passerons à un autre petit jeu. Allez, gibier de tranchées !
J’empoignai la lourde chaise de bureau et me mis à sauter ; à chaque saut, l’étui de mon masque à gaz venait me frapper durement le cou.
– Plus vite ! Plus vite ! disait le capitaine enchanté qui battait la mesure avec une règle. Un, deux, grand saut. Un, deux, grand saut !
Les deux premières dizaines furent déclarées mauvaises mais la troisième donna toute satisfaction. Sous les applaudissements bruyants du personnel qui faisait cercle, Il commanda :
– Changement, abruti !
Observant la consigne, je bondis par-dessus la table, puis rampai sous une rangée de chaise, qui figuraient un tunnel. Un voile noir passait devant mes yeux, mes tempes battaient et j’entendais toujours la voix grêle : – Plus vite, plus vite !
– A vos rangs ! Fixe ! cria tout à coup une voix.
Je m’arrêtai pile et, le petit doigt sur la couture du pantalon je regardai droit devant moi. Mes yeux rencontrèrent un portrait d’Hitler. Je ressentais comme des coups dans la tête » des taches rouges dansaient devant mes yeux et la photo du Führer avait l’air de clignoter. Une voix coupante comme une lame rompit le silence :
– Que se passe-t-il ici ?
Nouveau Silence. Le poêle ronflait joyeusement, les brindilles de bouleau crépitaient et répandaient cette bonne odeur des forêt et de liberté.
– Alors ces messieurs sont devenus muets ! poursuivit la voix glacée.
– Le capitaine von Weissgeibel, officier de gare, déclare respectueusement au colonel qu’il
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