Les panzers de la mort
n’étais pas bien vu. On me fit comprendre devant témoins qu’il valait mieux m’en aller, mais j’étais encore naïf et je refusai. Une deuxième fois, je reçus le même conseil, appuyé d’une légère menace : moi, imbécile, je ne voulus toujours rien comprendre.
Ils se tinrent tranquilles deux ans. Puis, un matin, arriva le dernier avertissement et le soir, la police était là : huit semaines dans une cave. Après quoi, on me fit comparaître devant un petit secrétaire en chef, correct, très correct : Cravate, chapeau, souliers, bien rasé, coiffé comme personne. Chaque mot que je dis fut sténographié par une femme qui se moquait de moi. Quand le secrétaire en chef lui demanda son avis sur mon sort, elle retroussa ses jupes, se gratta la cuisse et dit : « IL faudra enlever cette barbe. »
En rentrant dans ma cave, je ne savais toujours pas un mot de ce qu’on me reprochait. Le S. S. qui me suivait s’entretint avec ses collègues, sur ce qu’on devait me faire. « A Moabitt. La hache, dit l’un. » Alors, au lieu de me taire, j’ai protesté de mon innocence, mais Ils me frappèrent en rigolant. Un me réveillaient trois ou quatre fois par nuit à coups de pied et de gifles et me faisaient sauter avec d’autres détenus, le long couloir, en hurlant ou en croassant selon leur fantaisie. Ils forcèrent un vieil homme de soixante-dix ans à se tenir sur les mains, et lorsqu’il n’y parvenait pas, on le frappait dans l’entrejambe à coup de matraque.
– Et cela durait combien de temps ? demanda Stege.
– Pas longtemps. Chaque coup était court et précis, exactement au même endroit. Trois coups et le vieux était dans les pommes, mais on peut rappeler à lui un évanoui, quatre et même six fois avec de l’acide sulfurique ou d’autres raffinements. Une nuit, à deux heures du matin, Ils me menèrent à l’interrogatoire. Ma femme fut le premier témoin. Elle me montra du doigt et cria : « Éloignez ce monstre qui abuse des enfants ! » Et elle me cracha à la figure. Il fallait la maîtriser pour l’empêcher de se jeter sur moi. J’étais sans voix, comme vous pensez bien. Mon beau-père me regarda dans les yeux et me dit enfin ce que je voulais savoir : « Malheureux ! Comment as-tu pu violer ta propre fille ? Nous prierons pour ton âme ! » Le reste des témoins, vous pouvez les imaginer et peu à peu je finis par tout savoir : j’étais inculpé de rapports sexuels avec ma fillette de douze ans, qui, trois mois auparavant était morte de diphtérie.
Vous connaissez le reste : encore quatre jours de cave et j’avouai tout ce qu’on voulut en signant ma déposition. Le jugement dura dix minutes : on était pressé. Il y avait sept condamnations à mort ce matin-là, On me donna cinq ans. « De quoi rire ! » dit un criminel qui en avait récolté vingt. Y en a-t-Il parmi vous qui connaissent Moabitt ? Non ? Le surveillant Boye montrait un véritable génie pour nous maintenir en forme. Il nous faisait mourir de terreur quand Il arrivait sur ses semelles de caoutchouc et ouvrait la grosse porte comme la foudre.
Vous voyiez une rangée de boutons brillant sur uniforme bleu-foncé et, malheur à vous si votre rapport ne venait pas à la seconde même. Il adorait écraser vos orteils. Hélas pour moi, il trouva un jour une mine de crayon dans la terre sous ma lucarne, où je l’avais jetée, après avoir écrit une lettre qui, par chance, lui avait échappé. Cette histoire me coûta vingt coups de nerfs de bœuf. Et pourtant Moabitt me semblait une colonie de vacances à côté de Schernberg.
Il s’arrêta, alluma sa pipe et haussa les épaules.
– Inutile d’entrer dans les détails. Vous connaissez Torgau, Lengries, Dachau, Gross Rosen et les autres camps. A Schernberg aussi on nous attachait aux radiateurs de sorte qu’on était brûlés par moitié, d’abord dans le dos puis sur le ventre. Plus, trois fois 25 coups de nerf de bœuf sur le derrière. Ils étaient passés maîtres pour varier les exécutions. Nous entendions souvent le bruit de la hache, et quand la corde d’un condamné cassait, Ils forçaient un autre prisonnier à l’exécuter d’un coup de maillet sur le front, comme fait le boucher à l’abattoir. Il y avait aussi un gardien qui exécutait avec une vieille rapière de chevalier mais ce fut tout de même interdit par le commandant. Cependant le même commandant fit plonger un traître à la patrie dans un
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