Les Piliers de la Terre
d’une forge… mais je ne l’ai jamais vu fonctionner.
— Vraiment ?
dit Jack. Voilà qui me donne raison !
— La
roue d’un moulin tourne, une meule tourne aussi, c’est pourquoi l’une peut
entraîner l’autre ; mais le bâton d’un fouleur monte et descend. On ne
peut pas utiliser une roue à eau ronde pour actionner un bâton qui monte et qui
descend.
— Justement :
un soufflet monte et descend.
— C’est
vrai, c’est vrai… Mais je n’ai jamais vu cette forge, j’en ai seulement entendu
parler. »
Jack
essayait de se représenter mentalement la machinerie d’un moulin. La force de
l’eau faisait tourner la roue, dont l’axe était relié à une autre roue, à
l’intérieur du moulin. Celle-ci, verticale, comportait un engrenage qui s’insérait
dans l’engrenage d’une troisième roue posée à plat, laquelle faisait tourner la
meule. « Une roue verticale peut actionner une roue horizontale, murmura
Jack, réfléchissant tout haut.
— Jack,
fit Martha en riant, Arrête ! Si les moulins pouvaient fouler le tissu,
des petits malins y auraient déjà pensé. »
Jack
ignora l’interruption. « On pourrait fixer les fouloirs à l’axe de la
meule, dit-il. Il suffirait d’étaler le tissu à plat là où battent les
fouloirs.
— Mais
les fouloirs ne frapperaient qu’une fois, puis se coinceraient. Tout
s’arrêterait.
— Il
doit y avoir un moyen, fit Jack avec entêtement. Il faut qu’il y en ait un.
— Il
n’y a aucun moyen, conclut Tom, du ton qu’il utilisait pour clore un sujet de
conversation.
— Je
parie pourtant que si », marmonna Jack. Tom fit semblant de ne pas
entendre.
Le
dimanche suivant, Jack disparut. Après la messe du matin à l’église, puis le
déjeuner à la maison, comme d’habitude, il ne se montra plus, même pas à
l’heure du souper. Aliena était dans sa cuisine, à préparer un épais potage de
jambon aux choux et aux poivrons quand Ellen parut, à la recherche de son fils.
« Je
ne l’ai pas vu depuis la messe, dit Aliena.
— Il
a disparu après le déjeuner, expliqua Ellen. Je croyais qu’il était avec
vous. »
Aliena se
sentit un peu embarrassée qu’Ellen eût fait si facilement cette supposition.
« Vous êtes inquiète ?
— Une
mère est toujours inquiète, répondit Ellen avec un petit sourire.
— S’est-il
disputé avec Alfred ? demanda nerveusement Aliena.
— J’ai
posé la même question. Alfred dit que non. » Ellen poussa un soupir.
« Je ne pense pas qu’il lui soit arrivé un accident. Il a déjà fait ce
genre de chose. Je ne l’ai jamais obligé à des heures régulières. »
Plus tard
dans la soirée, juste avant l’heure du coucher. Aliena alla jusqu’à la maison
de Tom voir si le garçon avait réapparu. Pas de Jack. Elle alla se coucher,
inquiète. Richard étant à Winchester, elle était seule. Son esprit était en
proie à des obsessions. Jack aurait pu tomber dans la rivière, se noyer ou Dieu
sait quoi. Quelle catastrophe pour Ellen ! Jack était son seul fils. Les
larmes montaient aux yeux d’Aliena en imaginant le chagrin d’Ellen sans Jack.
C’est stupide, se dit-elle » : je pleure sur la peine de quelqu’un
d’autre à propos d’un événement qui n’est pas arrivé. Elle se reprit et essaya
de penser à autre chose. Son grand problème, c’était le surplus de tissu. En
temps normal, elle pouvait passer la moitié de la nuit à s’inquiéter de ses
affaires, mais ce soir-là, ses pensées revenaient sans cesse à Jack. Et s’il
s’était cassé la jambe, et s’il gisait dans la forêt, incapable de
bouger ?
Elle finit
par sombrer dans un sommeil agité et s’éveilla aux premières heures du jour,
encore fatiguée. Elle jeta son lourd manteau sur sa chemise de nuit, passa ses
bottes fourrées et partit à sa recherche.
Il n’était
pas dans le jardin derrière la taverne, où l’on voyait souvent des hommes
endormis qui ne mouraient pas de froid grâce à la chaleur du tas de fumier.
Elle alla vers le pont et suivit précautionneusement la berge jusqu’à un
tournant de la rivière où on déposait les détritus. Une famille de canards
picorait parmi les bouts de bois, les chaussures éculées, les couteaux rouillés
et les ordures pourrissant sur la rive. Dieu merci, Jack n’y était pas.
Elle remonta
la colline pour pénétrer dans l’enclos du prieuré où les bâtisseurs de la
cathédrale commençaient leur journée de
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