Les Poilus (La France sacrifiée)
Fère. L’artillerie anglaise a été neutralisée, les gaz toxiques ont accablé les défenseurs des redoutes. Les plus récents chasseurs, les Pfalz DIII, ont détruit en piqué les avions anglais de reconnaissance : 62 escadrilles de 12 avions de chasse et d’assaut, sans compter les bombardiers pour attaquer les gares de l’arrière. Les Allemands n’ont pas de chars, mais ils ont des chasseurs redoutables, qui vident le ciel en quelques heures.
Les lignes du général Byng, le vainqueur de Vimy, sont enfoncées, mais les contre-attaques se succèdent et il réussit à protéger Arras en reculant seulement de trois kilomètres, au prix de pertes très sévères. À onze heures, 28 000 combattants ont déjà disparu du front et la plupart des redoutes sont prises dans l’après-midi, contraignant les Britanniques à la guerre de mouvement. Leur résistance acharnée, pied à pied, explique l’échec relatif de l’attaque allemande contre Arras.
La supériorité du feu et du nombre des assaillants est telle que la V e armée de Gough est, vers le sud, dans un péril extrême. Les Anglais n’avaient pas eu le temps d’installer dans cette région du front plusieurs lignes de résistance, car ils avaient dû remplacer en hâte les unités françaises jusqu’à Barisis, suivant les accords Haig-Pétain. Les premières lignes avaient été arrosées de gaz, pulvérisées par les obus explosifs.
À deux contre un, les Allemands se ruaient, s’emparant de plus de 500 canons. Les pertes anglaises étaient, en quelques heures, de 40 000 hommes. Douglas Haig ne pouvait savoir que sur ce front en pleine retraite, il n’avait plus d’infanterie.
Le 22 mars seulement, quand l’attaque allemande reprit avec plus d’ampleur encore, il réalisa enfin qu’il devait affronter seul la grande offensive de Ludendorff, qu’on ne pouvait plus s’y tromper. Dès lors, quand von Hutier réussit à percer les lignes à Tergnier, Haig dut se résoudre, dans la nuit du 22 au 23 mars, à demander l’aide urgente et massive des Français.
La logistique impose ses délais : les premiers secours ne peuvent survenir que le 25 mars au soir. Pétain fait intervenir en premier les soldats du 5 e corps de Pellé, réveillés en sursaut dans la nuit, arrachés à leurs cantonnements de la région de Coulommiers pour être mis en route par camions dès le 22 mars à midi, devançant l’appel de Haig. La mission de Pellé est de maintenir la liaison avec Gough et de défendre Noyon.
Une autre unité, dans le même esprit, a été déplacée dès le 22 mars : la 125 e division, de la VI e armée Duchêne, a été mise en place pour maintenir le contact avec l’aile droite de Gough, sur l’Oise, dans la région de Chauny. Elle devrait ensuite passer très vite aux ordres de Pellé et constituer un embryon de résistance pour s’opposer à l’avance allemande vers le sud. Ainsi Pétain, plutôt que de venir en aide aux Anglais, songe d’abord à assurer la protection de sa propre armée.
Mais les divisions fondent en quelques heures, il faut les remplacer aussitôt. Ce que redoutait Pétain devient inévitable : l’envoi au compte-gouttes de divisions incapables de tenir le front ébranlé par une masse d’ennemis soutenus par une artillerie puissante. De nouveau l’armée française est entraînée dans la voie du sacrifice d’une noria d’unités, et cette fois sur le front britannique. L’absence d’un commandement unique se fait cruellement sentir. Division par division, les circonstances arrachent les renforts aux réserves de Pétain jalousement conservées. On ne compte, une fois de plus, que sur le sacrifice de l’infanterie française pour sauver la situation.
Car l’état-major français n’a pas les mêmes facilités que Ludendorff à acheminer rapidement les renforts d’artillerie : le réseau ferré des Alliés est éparpillé, discontinu, et soumis au canon allemand. Pétain, qui le 22 mars redoute encore une offensive ennemie en Champagne, hésite à mettre en route les grosses pièces lourdes sur voie ferrée vers le nord, en pleine déroute anglaise. L’infanterie amenée par camions aux points les plus menacés n’aura pas de soutien suffisant d’artillerie. Comme à Verdun, les soldats devront résister de trou en trou. Les trois divisions du général Pellé envoyées immédiatement en renfort attaqueront sans le soutien immédiat des trois régiments de l’artillerie lourde
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