Les porteuses d'espoir
la transformation fromagère.
François-Xavier avait peine à joindre les deux bouts. Et Julianna qui se
plaignait du manque d’argent ! Pauvre Julianna. Il aurait encore droit à un
souper accompagné de récriminations. Si Julianna ne l’avait pas poussé à quitter
le village, aussi ! Il est vrai que la vie sur la ferme de Saint-Ambroise
n’avait plus grand avenir. Quand même, s’il avait pris un peu le temps de
réfléchir, peut-être aurait-il trouvé autre chose ? Il était injuste. C’est lui
qui avait fait les démarches en cachette de Julianna. Il était le seul à blâmer.
Il avait fait un mauvais pari. Son épouse avait été si heureuse de ce
déménagement. Si leur loyer était moins dispendieux, peut-être, peut-être
arriveraient-ils à boucler leur budget ? Il revit Julianna lui montrer
l’appartement. Elle était exubérante, tout heureuse. François-Xavier avait
sourcillé. Le loyer était au-dessus de leurs moyens. Mais sa femme n’avait pas
voulu en démordre. C’était le seul qu’elle avait déniché qui comportait une
pièce assez grande pour accueillir le piano. Ils s’étaient disputés. Ils avaient
été s’enfermer dans la grange, là où ils avaient pris l’habitude de régler leurs
problèmes à l’abri des oreilles des enfants.
— Le logement est parfait ! Il est bien situé, sur la rue Racine, près de tout
à pied !
— Je veux ben croire Julianna, mais y est trop cher !
— On va s’arranger !
— Julianna, en haut de la fromagerie, on pourrait s’accommoder.
— Y en n’est pas question ! C’est un trou à rat.
— T’exagères… Pis ce serait juste en attendant, voir si l’emploi va
marcher.
— Pis y faudrait que je me débarrasse encore de mon piano, en attendant… Je
commence à les connaître, tes en attendant , François-Xavier Rousseau.
Depuis que je t’ai marié, j’ai jamais rien que fait ça, attendre. Un jour, la
compagnie va me redonner ma terre au Lac-Saint-Jean, un jour la compagnie va me
payer le prix qu’elle vaut, un jour je vas ravoir ma fromagerie, un jour…
— Julianna, ça suffit !
— Tu m’empêcheras pas de dire ce que je pense. J’ai fait ma part. Si tu crois
que c’était facile de passer des hivers toute seule pendant que t’étais au
chantier, de prendre soin des enfants malades, de les mettre au monde sans que
tu sois là…
— Ça fait des années, pis t’es pas la première femme à qui ça arrive.
— Je suis fatiguée, François-Xavier, les enfants sont malcommodes, je ne sais
plus où donner de la tête.
— Bon ben, on va rester à Saint-Ambroise d’abord, pis je vas chercher un autre
travail et une autre maison.
— Non, j’suis malheureuse ici.
— Y a pas une place qui saurait te contenter…
— C’est pas vrai, j’adorais Montréal.
— On va toujours ben pas revenir encore sur cette histoire-là ! Tu me radotes
tout le temps la même baptême de rengaine.
— À Chicoutimi, on va être bien aussi, je suis certaine. Y a des
magasins…
— On a tout ce qu’il faut au village.
— Depuis que Marie-Ange est partie à Montréal puis qu’il y a eu
le grand feu, je n’ai pas d’amis. François-Xavier, je n’ai personne avec qui
jaser.
— La deuxième voisine, a demande pas mieux que ça, te visiter.
— La grande fouine à Larouche ! Franchement, François-Xavier, elle me regarde
comme si j’avais la peste. Tout le village me traite comme une bête noire.
— Tu leur donnes pas grand chance. Le curé Duchaine t’a demandé souvent de
faire partie des dames patronnesses à l’église.
— Comme si j’avais le temps ! Puis si tu penses que je vais donner le plaisir à
ces pauvres femmes de me traiter de haut. C’est rien qu’une bande
d’habitantes.
— C’est peut-être ben le contraire…
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ? Je n’ai jamais rien fait pour mériter
qu’on me traite de cette manière. On me tient à l’écart, on chuchote quand je
vais communier. Tu le sais comment on m’appelle dans le village ? La frais
chiée, la maniérée, celle qui pète plus haut que le trou…
— Que c’est-tu veux que je te dise ?
— Le village entier est contre moi. La maîtresse d’école nous hait à cause de
Pierre, puis elle a toute sa parenté dans le village, puis l’autre moitié, elle
ose pas s’approcher de nous à cause du terrible
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