Les porteuses d'espoir
élevé, suivant la mauvaise habitude des marins, il la siffla
d’un air admiratif. Sursautant, la jeune cycliste le vit. Avec la bouche, elle
fit un « oh ! » de surprise avant de se mettre à zigzaguer dangereusement,
perdant le contrôle de son vélo. La pauvre fille ne réussit pas à éviter le
camion et avec un bruit sourd en frappa le côté arrière. Elle tomba avec un cri
de douleur. Pierre s’en voulait d’être la cause de cette chute.
— Vous vous êtes fait mal ? s’inquiéta-t-il en accourant auprès d’elle.
En grimaçant, la blessée fit signe que oui tout en maintenant son bras droit du
mieux qu’elle le pouvait.
— Je suis vraiment désolé…, reprit Pierre en aidant la victime de sa farce à se
relever.
— C’est de ma faute… Je… j’ai pas vu le camion…
Pierre partit à rire.
— Pourtant, y me semble qu’y est assez voyant.
La fille rougit jusqu’aux oreilles. Tant bien que mal, elle essaya de relever
sa bicyclette. À la vue de tous les œufs cassés par terre, elle se mit à
sangloter.
— Mon panier, se désola-t-elle, il a renversé… Y en a plus un seul de
bon…
— C’est de ma faute, mademoiselle. Je vas vous aider.
Pierre s’empressa de remettre le vélo sur ses roues, mais avec son bras blessé,
l’inconnue ne pouvait l’enfourcher de nouveau. De toute façon, la roue avant
était tordue et rendait la bicyclette inutilisable. Devant le désastre, elle se
mit à pleurer de plus belle.
— Comment vous vous appelez ?
— Odile, répondit la jeune fille entre deux hoquets de larmes.
— Arrêtez de pleurer, mademoiselle Odile. On va commencer par prendre soin de
votre bras.
Il réfléchit un instant avant de retirer sa chemise.
— Qu’est-ce que vous faites ? demanda Odile, inquiète.
— On va le mettre en écharpe. Avec les manches, je vas pouvoir vous l’attacher
dans le cou. J’ai appris ce truc quand je travaillais sur les chantiers.
Odile eut un mouvement de recul.
— Faites-moi confiance, mademoiselle.
Elle le dévisagea un instant. Elle sécha ses larmes et bravement lui fit signe
de procéder.
Avec mille précautions, Pierre entoura le bras du morceau de tissu.
— Le nœud est pas trop serré ? s’informa-t-il après avoir noué les deux manches
derrière le cou.
— Non, non, c’est ben correct. Pis ça fait moins mal astheure.
— Pour les œufs, y a plus grand-chose à en espérer. Les oiseaux vont venir
picocher. Pour votre bicyclette, c’est une affaire de rien du tout de redresser
la roue.
— Merci ben.
— Ça fait qu’il y a plus de raison d’avoir de la peine, hein,
mademoiselle ?
Elle lui offrit un joli petit sourire émouvant de candeur.
— Faut que je rentre chez moi astheure. Ma mère a m’attend. J’habite juste un
peu plus loin sur la route, la maison là-bas, fit-elle en désignant de son bras
valide un toit brun que l’on devinait derrière un bosquet d’arbres.
En camisole, Pierre scruta l’horizon et discerna l’habitation. Il hésita. Il
n’avait pas le droit de laisser le camion sans surveillance. Le chargement de
viande valait une fortune. D’un autre côté, cette jolie Odile valait la peine de
prendre le risque. Il évalua la distance. Il s’était assoupi un instant sur le
bord du chemin avant cette rencontre inattendue. Il jugea qu’il avait
certainement le temps de raccompagner la jeune beauté chez elle et de revenir
comme si de rien n’était.
— Je vous accompagne, décida-t-il en soulevant la bicyclette
par la fourche.
— Dérangez-vous pas pour moé, je vas me débrouiller.
— On obstine pas Pierre Rousseau, vous saurez…
— Non, non, vraiment, c’est pas nécessaire.
— Il faut ben que je récupère ma chemise.
« Pis quand une étoile filante réalise notre vœu, on peut toujours bien pas
refuser ! », se dit-il en bombant le torse de fierté, faisant jouer ses muscles
rien que pour Odile. S’il avait pu, il aurait tenu le vélo par un seul doigt
afin de l’impressionner.
La femme sentait tellement mauvais que Mathieu ne put s’empêcher de plisser le
nez. La cliente s’en aperçut et ressortit du magasin sans acheter quoi que ce
soit. Le jeune vendeur haussa les épaules. Tant pis pour la vente manquée.
Mathieu détestait le travail que son parrain Henry lui avait déniché à Montréal.
Il vendait des chaussures ! Imaginez, toute la journée, il
Weitere Kostenlose Bücher