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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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Nous avons perdu assez de temps ainsi à vous attendre, dit
     l’homme dans l’ombre.
    — Non… ça va mieux. C’est la poussière, je pense… Excusez-moi, ça… ça ne sera
     pas long…
    Maladroite sur ces foutus talons, elle se déhancha jusqu’à la coulisse, prit la
     serviette de table qu’elle avait remarquée et se moucha bruyamment, mortifiée
     par le bruit inconvenant qui sembla résonner dans tout le théâtre. La femme qui
     l’avait guidée la toisait maintenant d’un air certain de sa défaite. Yvette
     reprit une rasade d’eau avec laquelle elle se gargarisa. Elle recracha le tout
     dans le verre, lançant à la femme un regard de défi. La colère montait en elle.
     Pour la seconde fois, Yvette reprit sa place sous les projecteurs. D’un geste
     rageur, elle tenta de lisser la robe rouge qui lui remontait sur les jambes,
     pleine d’électricité statique.
    Avec un petit rire moqueur, la voix du juge s’éleva :
    — Allons, mademoiselle, si vos cuisses ont envie de se laisser admirer,
     laissez-moi au moins ce plaisir. Cela sera une mince consolation pour la perte
     de temps.
    Avec rage, elle tira si fort que le tissu craqua. Le décolleté lui tomba sur
     une épaule. Si elle avait vu l’image qu’elle offrait, chancelante sur ses
     montures, la taille et les hanches emprisonnées, l’épaule découverte !
     Offusquée, elle rétorqua :
    — Est-ce que je peux commencer ?
    — Mais faites, mademoiselle, faites. Vous offrez un si charmant spectacle que
     je meurs de vous entendre…
    — C’est la chanson du poisson muet ? reprit le juge devant la jeune fille qui
     restait plantée là, la bouche ouverte.
    Le pianiste émit un petit rire.
    — Je pourrai pas la jouer, monsieur, je la connais pas, celle-là ! dit le
     musicien.
    Yvette fulmina. Son tempérament bouillant reprit le dessus. Cela
     suffisait.
    Elle oublia toutes les recommandations de madame Bourget, toute
     cette histoire de fleur fragile sur une scène. D’un air déterminé, elle releva
     la tête et annonça haut et fort :
    — Je vais vous interpréter : La chanson de l’adieu.
    — Vous nous quittez déjà ?
    Très drôle, se dit Yvette. Elle se tourna vers le pianiste.
    — Pas besoin de vous.
    — Quoi ?
    — Je ne veux pas d’accompagnateur, redit-elle.
    Le pianiste leva les yeux au ciel et plaqua un accord exaspéré sur le
     clavier.
    Avec colère, elle retira la paire de chaussures et la lança dans la salle.
     Pieds nus, elle s’ancra solidement dans le plancher et, du fond de son ventre,
     de ses entrailles, elle forma les sons qui amplifièrent et vibrèrent le long de
     sa gorge.
    Partir, c’est mourir un peu
    C’est mourir à ceux qu’on aime…
    Elle était l’émotion, le déchirement, la passion à l’état brut. Elle se donna
     tout entière, offrit son âme dénuée de tout artifice. Quand elle eut terminé,
     elle prit quelques secondes avant de revenir sur terre. Il n’y avait pas un
     bruit dans la salle. Déçue, elle s’apprêta à retourner en coulisse quand elle
     vit le juge qui s’avançait vers elle. L’homme gravit les trois marches de bois
     noir qui menaient à la scène. Dans ses mains, il tenait les souliers. D’un air
     grave, sans quitter des yeux la jeune participante, il lui tendit les chaussures
     en murmurant :
    — Cendrillon…
    Il mit un genou à terre et lui enfila doucement un de ses souliers. Yvette dut
     se tenir sur l’épaule de l’homme pour ne pas perdre l’équilibre. Quand il eut
     rechaussé la femme, il se releva. Il répéta le prénom du conte de fées.
    — Cendrillon, je ferai de vous la reine de la chanson.
    Avait-elle bien saisi le sens de ces paroles ?
    Il reprit :
    — Vous ne porterez plus ces affreux haillons. Vous aurez un diadème dans les
     cheveux. Oubliez ce nom d’Yva Roux… Vous deviendrez… Sandrine, Sandrine Roy,
     certainement la gagnante incontestée du Concours des jeunes
     talents  !

    — Julianna, ma femme, il faut qu’on parle.
    « Oh ! cela doit être sérieux pour que François-Xavier s’adresse à moi ainsi »,
     pensa Julianna.
    — J’ai pas fini ma vaisselle.
    — On va aller prendre une marche si tu veux ben…
    « Oh ! encore plus grave... », pensa-t-elle.
    Jamais cette demande ne venait de la part de son mari. Elle lui faisait assez
     souvent le reproche qu’il ne la sortait jamais, qu’elle virait folle à passer
     ses journées à s’occuper de la maisonnée,

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