Les porteuses d'espoir
radio.
— Une audition, c’est quoi, c’est pour tes oreilles ?
— Ah non ! c’est quand ils choisissent un artiste. C’est comme un concours,
mais ce que tu gagnes, c’est un rôle à la radio !
— Yvette, c’est formidable ! s’exclama Isabelle.
— J’ai-tu ben compris, moi là ? dit Marie-Ange.
— Ma cousine va être une vedette ! fit Hélène en tapant dans ses mains.
— Ne partez pas sur vos grands chevaux, personne. Mais monsieur Durand dit que
j’ai de bonnes chances. Il faut que j’apprenne un bout de texte. Monsieur Durand
dit que j’ai bien du talent. J’ai une excellente diction maintenant, et plus
aucune trace d’accent. Quand la télévision va entrer en ondes l’année prochaine,
il dit qu’il va me faire jouer dedans.
— Jouer dans une télévision ? Je te suis pas, ma fille.
— Vous savez bien. Ça va être comme une radio, mais avec les images. On va voir
les visages, les robes, tout ! Comme si on allait aux vues dans notre salon.
Monsieur Durand dit que…
— Y en dit ben des affaires, ce monsieur Durand, maugréa Marie-Ange en
retrouvant son scepticisme.
Ce n’était jamais bon signe quand une jeune femme voyait un homme dans sa
soupe.
— Tante Mae !
— Ben quoi, ça a pas une ben bonne réputation, ce monde de théâtre…
— Jouer à la radio, être connue, ma photographie dans les journaux, sur des
affiches, imaginez, matante : En vedette ce soir, Sandrine Roy !
— C’est qui ça ?
— Sandrine… quel drôle de nom, ça ressemble à sardine , pouffa
Hélène.
Mal à l’aise, Yvette baissa les yeux et marmonna :
— C’est monsieur Durand qui m’a trouvé un nouveau nom d’artiste : Sandrine
Roy.
— Il est pas barré, lui ! Pour qui il se prend de changer ton nom ? Yvette,
c’est très bien. Comment veux-tu que le monde sache que t’es ma nièce ?
— Toutes les grandes vedettes, c’est pas leur vrai nom !
— Ben, voyons donc.
— C’est monsieur Durand qui l’a dit. Attendez : Monique Leyrac, c’est Monique
Tremblay.
— Elle a au moins gardé un bout.
— Monsieur Durand, il dit…
— Il dit qu’il va venir souper à la maison, que je lui voie la face avant toute
chose. T’es toujours ben sous ma responsabilité.
— Il va rire de moi !
— Madame Marie-Ange s’inquiète juste pour toi, la calma Isabelle, qui redoutait
le caractère bouillant de sa jeune amie. Pis elle a raison d’être prudente. On
entend ben des histoires dans le monde des artistes. Il doit y en avoir de
vraies.
— Tu inviteras ton monsieur Durand à dîner dimanche prochain.
— Je vais mourir de honte !
— C’est ça ou y est pas question que cet homme te gérance quoi que ce
soit.
— Je veux pas vous blesser, matante, mais j’ai vingt-trois ans…
— Je vas tenir mon bout, ma fille, tu le sais.
— Matante !
— Ta mère t’a confiée à moi ! Majeure ou pas, je le répète, t’es sous ma
responsabilité. Je veux lui voir le blanc des yeux pis mon pif va parler. Si cet
homme est honnête, y aura pas de problème, sinon…
— Mais…
— Yvette, intervint Isabelle, un souper, c’est pas la mer à
boire. On invitera Henry à se joindre à nous.
Marie-Ange surenchérit :
— Un avocat sera pas de trop dans cette histoire. Je veux pas que tu signes
n’importe quoi.
Yvette n’avait pas le choix. En soupirant, elle dit, en une envolée :
— Mais, mais… quels souliers vais-je bien pouvoir porter ?
Isabelle et Marie-Ange restèrent interdites un moment avant d’éclater de rire.
Nul doute qu’Yvette aurait du succès en tant qu’actrice !
— Ça va pas fort à la fromagerie.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Le fils a baissé mes payes.
— Encore !
— Si je pouvais, Julianna, j’te jure que je l’enverrais promener, ce...
ce...
François-Xavier se tut. Les mains dans les poches, il prit une grande
inspiration avant d’ajouter :
— J’arriverai pas à tout payer. L’institution de Léo, Jean-Baptiste à l’école
des métiers, le séminaire de Zoel et Adélard.
— Chut, pas si fort, fit Julianna en jetant un coup d’œil inquiet autour
d’elle. S’il fallait que quelqu’un surprenne cette conversation. Elle entraîna
son mari à l’écart. Par chance, leur promenade les avait conduits sur le bord de
la rivière. Il n’y avait que quelques jeunes qui s’y amusaient.
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