Les porteuses d'espoir
nom, appelle-moi Yvette si tu n’aimes pas Yva.
— Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un
autre nom...
Devant la mine renfrognée de sa compagne, l’homme expliqua :
— Un jour, il faudra que tu lises Roméo et Juliette .
— Il y a tellement d’affaires que je ne sais pas…
— Il y a tellement de choses que je veux t’apprendre…
À ces paroles, Paul-André passa sa main dans l’échancrure de la robe
d’Yvette.
Assis sur un vieux divan défoncé, l’agent et sa protégée étaient seuls dans le
local de répétition au sous-sol du théâtre. Paul-André avait prétexté désirer
regarder à nouveau le texte d’une audition prévue le lendemain. Il savait
pertinemment qu’Yvette n’avait aucune chance, le rôle ayant été promis à une
autre comédienne qu’il avait prise sous son aile. Celle-ci patientait depuis
plus longtemps qu’Yvette. Mais sa Cendrillon n’avait pas besoin d’être au
courant de ce petit détail. Dans ce métier, vous pouviez rester invisibles
pendant des années avant de percer. Vous deviez vous montrer souvent et partout
jusqu’à ce que votre visage et votre nom s’imprègnent de force dans la tête des
producteurs. Quand un de ces hommes vous remarquait, alors, là, vous existiez.
Yvette avait encore bien du chemin à faire avant qu’on ne s’intéresse à
elle.
— Arrête, Paul-André. On a répété le texte, maintenant, il faut vraiment que je
rentre. Il est tard !
— Tout est relatif ; pour moi, il est très tôt…
— J’ai jamais vu un homme aux mains longues de même, dit en riant Yvette qui
essayait de ne jamais montrer à son agent le peu d’expérience qu’elle avait dans
ce domaine.
Tout s’était passé très rapidement. Son gérant avait d’abord laissé tomber les
vouvoiements.
— Entre artistes, on se tutoie.
Cette familiarité l’avait étonnée, mais quand il l’avait fait entrer dans la troupe amateur qu’il dirigeait en plus de son métier d’agent,
elle avait réalisé qu’il n’avait pas menti. Entre la douzaine de membres,
c’étaient des « ma chérie », « mon chéri » à qui mieux mieux. Yvette avait bien
senti qu’elle n’était pas plus qu’il le fallait la bienvenue au sein du groupe.
Mais personne n’avait osé discuter le choix de leur directeur. Elle avait tenté
un rapprochement avec une jeune fille de la troupe, mais celle-ci lui avait jeté
un regard de glace. Elle en avait deviné la cause quand la jeune actrice avait
passé, de façon très intime, ses doigts sur la nuque de l’agent. Celui-ci
l’avait repoussée et était venu enlacer Yvette tout en lui parlant du petit rôle
qui lui revenait. Le Théâtre du Général, nom que la troupe s’était donné à sa
fondation, un an après la guerre, en l’honneur du général de Gaulle, répétait
une pièce écrite collectivement et qu’Yvette trouva immédiatement boiteuse et
loin d’être prometteuse. L’histoire se passait à Paris, comme toutes leurs
productions d’ailleurs, et Yvette tenait le rôle d’une marchande de crayons
naïve qui se faisait offrir par un homme riche de se faire acheter tout le lot
en échange d’un autre crayon… plus gros… avec de la mine spéciale. Le texte
entier était à double sens et n’était pas loin de la vulgarité. Yvette n’en
revenait pas. Elle avait été tentée de tout quitter, mais c’eût été mettre une
croix sur sa carrière. Paul-André était sa seule porte d’entrée. Si Yvette
apprit vite une chose, c’est qu’il ne fallait jamais déplaire à Paul-André, et
encore moins se le mettre à dos. Il lui fallait rester dans ses bonnes grâces si
elle voulait atteindre ses objectifs. L’agent était venu souper chez sa tante
Marie-Ange et il avait été charmant, affichant l’attitude d’un homme cultivé et
bienveillant. Il avait rassuré sa tante et même Henry lui avait donné son
approbation. Son agent la couvait du regard et était toujours plein d’attention
pour elle. Il lui demandait son avis et pouvait arrêter une répétition en pleine
action, prétextant que sa Cendrillon avait l’air fatigué et qu’ils prenaient une
pause. Yvette essayait de le démentir, mais sonagent la faisait
taire d’un rapide baiser sur la bouche, là, devant tous les autres, comme si
c’était la chose la plus naturelle qui soit. Yvette tentait de ne pas se
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