Les porteuses d'espoir
Frontenac ? À Montréal ?
— Non, papa… On va plus loin, beaucoup plus loin.
— Pas aux chutes de Niagara ? C’est pas un voyage donné...
Georges intervint.
— Avec mon cadeau de noces, ils pourront y aller deux fois s’ils veulent.
Avec étonnement, François-Xavier regarda son beau-frère.
— Parrain m’a remis une enveloppe.
— C’est ben généreux de ta part, Georges.
— Mais on va pas à Niagara. J’ai décidé d’emmener Mélanie en Gaspésie.
— En Gaspésie ? répéta François-Xavier.
— Je m’en vais prendre possession de La Joséphine .
François-Xavier perdit toute couleur. Après tant d’années depuis la mort de ce
Patrick O’Connor, son vrai père, il avait cru que son fils avait oublié cet
héritage de malheur.
— Ben voyons, ça a pas d’allure !
— Pourquoi ? Ça va faire un beau voyage ! Pis il est temps que j’aille voir ce
bateau de plus près.
— Tu iras pas à l’autre bout du monde pour une vulgaire barque de bois ?
— Ben voyons, papa !
L’attitude de son père était incompréhensible, se dit Pierre. Mais quelle
mouche le piquait ?
— Ce bateau doit être pourri de partout !
— Mais papa, on y va en voyage de noces, dit Pierre. Si La
Joséphine est pourrie, je mettrai le feu dedans.
— En Gaspésie…, répéta François-Xavier. Franchement, il fait même pas beau par
là. Ça a l’air qu’il vente sans bon sens…
— On va arrêter un peu partout le long de la route.
— La Gaspésie en automobile ? T’es fou ?
— Papa, on veut voir un peu de pays. On va prendre notre temps. On va louer des
cabines le long de la route.
— Ma tante Édith y est allée l’année dernière, dit Mélanie, elle dit que c’est
le bout du monde, mais que c’est le plus beau bout du monde entier.
— Ça fait si longtemps que je rêve d’y aller, l’occasion est trop belle.
François-Xavier n’eut pas le temps d’ajouter quoi que ce soit que Zoel ouvrit à
toute volée la porte d’entrée en criant :
— La grande visite de Montréal, les voilà ! Les voilà !
Julianna se précipita au salon.
— Vite, François-Xavier, ils sont arrivés. Oh ! je vais pleurer, mon
maquillage.
Devant le miroir d’entrée, Julianna s’arrêta un instant et rectifia sa
coiffure. Elle était si nerveuse. Revoir Léo, Marie-Ange, la jeune Hélène,
Henry, son épouse… Avec un léger soupir de dépit face à son image qu’elle aurait
voulue plus jeune, plus jolie, inchangée, elle se dirigea vers l’extérieur. De
la longue voiture noire, garée le long du trottoir, s’extirpait une Marie-Ange
en train de bougonner.
— Un voyage de fou ! On m’y reprendra pas à embarquer dans cette machine. Non,
mais, si on fait pas d’omelette sans casser des œufs, on ne vient pas jusqu’à
Chicoutimi sans se casser des os…
Au contraire, du côté de la rue, un grand jeune homme bondit littéralement de
la voiture. Excité, avec de grands gestes, il vint sur le trottoir. Regardant
autour de lui, se sentant tout à coupdépaysé et gêné, il
s’immobilisa et regarda sa mère.
— Léo, mon Léo !
Julianna ouvrit les bras à son fils qui s’y blottit sans plus
d’hésitation.
Avec son élocution particulière de personne sourde, il articula :
— Maman…
Marie-Ange interrompit ses lamentations.
— Julianna, s’écria-t-elle, ma petite Julianna !
Les deux sœurs se jetèrent dans les bras l’une de l’autre.
— Je le savais, que je pleurerais, hoqueta Julianna. J’aurais dû prendre un
mouchoir.
Marie-Ange ouvrit son sac à main et en tendit un à sa sœur.
— Je vais le tacher de maquillage.
— C’est pas grave, c’est un kleenex, ça se jette après.
François-Xavier qui avait suivi sa femme s’avança.
— Léo, mon gars, je suis ben content de te revoir, dit-il en pressant
affectueusement l’épaule de son fils.
Il tourna son attention vers sa belle-sœur.
— Bonjour, Marie-Ange, la route a été éprouvante ?
— Éprouvante, tu dis ? demande à Henry.
Le chauffeur avait fait le tour de la voiture.
— Bonjour, François-Xavier, pas fâché d’être arrivé.
Il regarda un moment Julianna. Avec un doux sourire, Henry lui tendit les bras.
Elle accepta l’invitation et se laissa tomber dans ceux-ci.
— Henry, murmura-t-elle… il y a si longtemps.
Il recula et, cérémonieusement, ouvrit la portière du côté
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