Les porteuses d'espoir
revenir sur mes deux
pattes.
Madame Langevin s’était écriée en le voyant :
— Te v’là ben amaigri, mon Pierre ! Vite, prend une chaise, repose-toé un peu.
Voir si ça a de l’allure de voyager, toé, un miraculé !
Mélanie, les manches de sa blouse roulées, les bras enfoncés jusqu’au coude
dans le bassin, à frotter un vêtement sale, balbutia :
— Pierre ? Que… que c’est tu fais icitte ?
— C’est ma fête aujourd’hui. J’ai vingt-six ans pis plus de temps à perdre. Je
suis venu chercher mon cadeau.
— Ton cadeau ?
Madame Langevin décida de sortir sur la galerie et de laisser ces deux jeunes
se parler.
— J’m’en vas étendre le blanc.
Mélanie ne comprenait pas, ne parvenait pas à saisir le sens des paroles de
Pierre. Son cœur était trop affolé.
— Je suis venu chercher mon soleil, le soleil de ma vie…
Il n’avait pas pris la peine de s’asseoir. Il s’était avancé et, avec ce
sourire en coin, légèrement moqueur, que lui conférait sa cicatrice, il l’avait
prise dans ses bras et l’avait embrassée sans aucune retenue. Mélanie n’avait
pas lâché les guenilles qu’elle s’apprêtait à essorer. L’eau dégoulina sur le
dos de Pierre. Plus tard, ils avaient fait une promenade, main dans la main, et
ils avaient longuement discuté. Enfin, c’était plutôt elle qui avait parlé, car
Pierre se contentait de sourire. Il semblait si sûr de lui. Il ne la demanda pas
en mariage : il exigea sa main.
— On se marie cet été, avait-il dit.
Mélanie n’en avait peut-être pas l’air, mais elle pouvait se montrer entêtée
elle aussi. Pierre avait dû patienter une année entière.
Après leur nuit de noces, la semaine dernière, elle était revenue sur leurs
retrouvailles et lui avait demandé d’où lui était venue cette certitude qu’ils
allaient se marier. Il l’avait embrassée en lui répondant :
— Quand tu étais petite, tu écrivais madame Pierre Rousseau partout. Dans le
train, tu l’as gravé dans mon cœur.
Mélanie accepta le verre de limonade que sa cousine lui offrait. À regret, elle
délaissa la main de son mari pour le prendre. Pierre lui exprima d’un regard la
même déception qu’elle. Il aurait préféré être ailleurs, seul avec son épouse.
Chaque minute passée loin d’elle, ne serait-ce que d’un pouce, lui semblait
offensante. Quand Mélanie avait repoussé la date de leur union, Pierre avait
trouvé ce délai épouvantable. Elle voulait être certaine de baser leur vie
commune sur des fondations solides. Elle voulait qu’il la courtise dignement. Et
c’est ce qu’il avait fait. Il était allé soupirer sous ses fenêtres et n’avait
pas raté une occasion de l’embrasser à l’abri des regards. Mélanie était simple,
droite, honnête et en plus, elle n’était pas contre les élans du corps, au
contraire. Pendant la période de fréquentation, ils avaient exploré leurs corps
avec ceque seule la retenue de ne pas aller jusqu’au bout peut
offrir comme imagination. Se caresser pendant des heures, leur bouche soudée
l’une à l’autre, quel délice ! En ce moment, Pierre se dit qu’il n’avait qu’une
envie, celle de quitter le salon de ses parents et de ramener Mélanie au creux
de leur lit. Au lieu de cela, il devait garder une distance et sourire poliment
à son parrain qui semblait muré dans un silence pesant sans avoir envie de fêter
quoi que ce soit.
Ils étaient partis de Normandin très tôt avec la nouvelle automobile que Pierre
venait de s’acheter. C’était une passion chez lui, ces belles inventions à
moteur. Il ne résistait guère à l’envie de changer de véhicule. Elle n’était pas
neuve, pas récente, mais Pierre était fier de son acquisition. Le voyage avait
été agréable par cette belle journée de juillet. Mathieu avait pris place à
l’avant et les deux cousines chantaient à tue-tête un air à la mode. Pierre
était passé par Mistassini. L’arrêt au monastère était prévu depuis longtemps.
Le moine s’était présenté à l’extérieur du cloître. Jean-Marie souriait et
semblait très ému de voir ses visiteurs. Il avait serré Pierre longuement dans
ses bras ; des larmes brillaient dans ses yeux.
— Petit cousin, répétait-il.
En détaillant Mathieu, il murmura :
— Toi, tu as tellement grandi… La dernière fois que je t’ai vu…,
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