Les porteuses d'espoir
père.
— Dans ce cas, je vous embrasse, déclara la jeune femme en donnant un bec sur
la joue de leur hôte.
Julianna retint le commentaire acerbe qui lui venait. Quel manque de
savoir-vivre ! Autant Mathieu était réservé, autant la jeune fille était
extravertie. Émancipée, avant-gardiste, elle posait sur le monde un regard neuf
qui voulait tout bouleverser devant elle. C’était probablement cet aplomb qui
attirait Mathieu. Cela et son mince corps musclé, son dos, sa chute de
rein…
— Installez-vous au salon, la jeunesse. Toi aussi, Georges ; il me reste encore
quelques préparatifs à terminer dans la cuisine.
— Bonjour, Georges, salua François-Xavier, la gorge serrée.
Son beau-frère ne lui répondit que par un hochement de tête.
Mathieu escorta galamment sa compagne jusqu’au salon. Depuis la terrible
maladie de Pierre, ils ne s’étaient presque plus quittés. Mathieu lui lisait sa
poésie. Jeanne-Ida semblait l’apprécier. Enfin, il l’espérait. Il se rappelait
cette fois où il lui avait récité les vers écrits en son honneur, ceux décrivant
sa beauté. Elle s’était mise à rire :
— Que c’est ça : il neige sur tes dents !
— Ben, ça veut dire que tes dents sont blanches, pis que…
— J’ai compris, je suis pas niaiseuse, mais franchement, c’est
la façon la plus affreuse de parler du sourire d’une fille.
— Jeanne-Ida, chère, tu serais-tu assez gentille pour m’aider à offrir à
boire ?
— Avec plaisir, madame Rousseau.
— Je vas vous aider, moi aussi, belle-maman.
— Ben non, tu restes assise, tu es l’invitée d’honneur.
Mélanie reprit place aux côtés de son mari sur un des divans. Elle était si mal
à l’aise avec sa belle-famille. Sa belle-mère était tellement différente des
femmes de Normandin. Mme Langevin était une femme simple, qui disait sa façon de
penser, qui ne se compliquait pas la vie, tandis que Julianna, elle, mettait les
petits plats dans les grands, comme on disait. Mélanie trouvait que sa
belle-mère était intimidante et elle ne savait comment l’aborder, comme si elle
venait d’une autre planète, tels ces ovnis dont on parlait tant dans les
journaux et qui faisaient peur à tout le monde. La mère de Pierre était une
contradiction. Elle affichait des airs de grande dame, un peu hautaine,
au-dessus de ses affaires, maniérée, et pourtant, elle était mère d’une famille
nombreuse. Mélanie sourit en pensant à tous les jeunes frères de son mari qui se
ressemblaient tant, sauf Mathieu qui était plus sombre que les autres. Mathieu
l’artiste… Mélanie fronça les sourcils. Sa cousine Jeanne-Ida était comme sa
propre sœur. Depuis qu’elles étaient petites, elles partageaient tout. Mélanie
avait des doutes sur la relation entre elle et Mathieu. Elle aimait beaucoup
Jeanne-Ida, mais souvent, quand Mélanie faisait quelque chose, Jeanne-Ida
l’imitait. Mélanie voulait une poupée en cadeau ? Jeanne-Ida recevait la même.
Mélanie voulait participer au théâtre que les religieuses préparaient ?
Jeanne-Ida ne jurait plus que par le spectacle. Mélanie craignait qu’elle ne se
rabatte sur Mathieu que par dépit, celui de ne pouvoir lui voler Pierre. Mais
jamais son nouveau mari n’avait levé les yeux sur sa cousine, qui était pourtant
beaucoup plus bellequ’elle et qui le savait. C’était elle que
Pierre avait choisie et demandée en mariage. Pierre l’avait courtisée, non, pas
courtisée, mais assiégée jusqu’à ce qu’elle cède. Cependant, elle avait été
inflexible. Pas question de mariage à la sauvette, de se presser. Mélanie
voulait être certaine de ne pas être une flamme passagère comme cette Odile qui
était apparue à l’hôpital, en pleurs, se disant la fiancée de Pierre. Comme elle
avait souffert cette journée-là en apprenant l’existence de cette femme !
Blessée, elle était repartie à Normandin avec la ferme intention de ne jamais
revoir ce bûcheron de malheur qui lui brisait le cœur chaque fois qu’elle le
voyait. Mélanie prit la main de son mari. Elle était si amoureuse. Personne ne
pouvait avoir cette chance, personne. Elle n’y avait pas cru lorsque, deux
semaines après son hospitalisation, le jeune opéré avait débarqué à Normandin.
Mélanie aidait sa mère à faire le lavage.
— Bonjour, madame Langevin. Je vous avais promis de
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