Les porteuses d'espoir
qui
travaillaient au champ. À ses cris, les moines ne furent pas longs à comprendre
qu’une urgence avait lieu. Ils accoururent et ensemble remirent le camion sur
ses roues. Il était trop tard.
Les moines avaient leur propre rituel de mise en terre. Après avoir ramené le
corps au monastère et l’avoir étendu par terre, ils se regroupèrent autour du
cadavre. Un moine apporta six longues bandes de tissu blanc. Quand Jean-Marie en
prit une et qu’il voulut faire partie de l’équipe de porteurs, on essaya de l’en
empêcher. Il était en état de choc, blessé, et son infirmité allait rendre la
procession difficile. Mais le regard déterminé du jeune accidenté les força à
accepter. L’effort fourni tirait ses traits. Il ne pouvait retenir ses larmes.
Celles-ci coulaient doucement sur sa joue encore maculée de sang et de boue.
Malgré la douleur lancinante à son épaule qui avait certainement été déplacée
lors de l’accident, il banda ses muscles et de toutes ses forces souleva, à
l’aide de la lanière de tissu, le cadavre du moine. Il ferma les yeux pour
chasser les images de l’accident qui ne cessaient de lui revenir en mémoire.
Arrivés près du trou, en prière, les moines laissèrent doucement glisser les
bandes blanches. Le corps fit un drôle de bruit sourd lorsqu’il toucha le fond
de terre. Le pauvre vieil homme gisait pour l’éternité dans une pose grotesque,
la jambe droite tordue. La boue maculait sa soutane et son visage. Un tourbillon
de pensées hantait Jean-Marie tandis que la cérémonie de sépulture continuait.
L’accident, le volant qui se met à tourner, le véhicule qui penche, son cri de
mise en garde, les paroles du mourant... Le feu, Rolande, son père qui lui donne
des coups depieds, le rejet, l’injure... Rolande, ses frères et
sœurs, cadavres empilés avec le moine dans la fosse. Frère Martial, le murmure
de ses dernières volontés. La fosse, la fosse se remplit… La tombe est
pleine...
Jean-Marie perdit connaissance. Son esprit ne pouvait accepter un autre
deuil.
Q UATRIÈME PARTIE
Été 1957
J
ean-Marie se redressa. Son dos élançait. Il chercha
des yeux quelque chose sur quoi s’appuyer. En retrait de la route, il y avait un
arbre, solitaire, qui donnait de l’ombre aux vaches qui broutaient en cette
journée de la fin du mois d’août. Clopinant, il passa par-dessus les barbelés.
Il déposa sa valise et se tint dos contre tronc, poussant sur l’arbre, cherchant
un peu de soulagement. Il en profita pour prendre un peu de repos. Il était
encore très loin de son objectif. Son dos l’avait empêché de prendre le train.
Il n’aurait jamais supporté de rester en position assise pendant des heures.
Puis, il adorait cheminer comme un pèlerin, avec son bâton de marche, le long
des routes de campagne. Il prenait son temps. Avec sa jambe folle, il ne pouvait
parcourir que peu de distance dans une journée, mais entre son dos et sa
claudication, le choix était simple. C’était le poids de sa valise qui n’aidait
guère à sa douleur. Il décida de s’étendre à même le sol. Jean-Marie tira sur
son pantalon. Même après tout ce temps, après presque quinze années de robe
monacale, c’était encore pour lui une étrange sensation que de porter des
vêtements civils. Par réflexe, il chercha le cilice qui lui avait enserré la
cuisse. Mais cela aussi, il l’avait retiré. Il laissa son regard vagabonder en
suivant quelques nuages blancs. Le supérieur de la communauté avait été bon pour
lui. Après la mort de frère Martial, Jean-Marie avait sombré dans une profonde
dépression. On s’était relayés à son chevet. Le médecin était venu.Jean-Marie avait gardé le lit longtemps. Il ne faisait que
pleurer. Son supérieur avait eu de longues conversations avec le moine.
Jean-Marie confia son sentiment de culpabilité, le rejet de son père, la
difficulté de son enfance, son handicap, son amour pour Rolande, le feu et les
dernières paroles de frère Martial, qui l’avaient troublé. Celui-ci lui avait
murmuré de quitter la trappe, qu’il était prêt, que ce n’était pas sa vraie
place… Dans la pénombre de sa cellule, recroquevillé sur sa couchette, il avait
tant pleuré, comme un bébé, et son supérieur l’avait bercé, entre ses bras,
l’apaisant… Le père trappiste était d’une grande bonté. Il
Weitere Kostenlose Bücher