Les porteuses d'espoir
était facile de
comprendre que le choc de la mort du frère Martial, sa mise en terre, la
culpabilité d’avoir causé l’accident, aient fait chavirer et remonter dans
l’esprit de ce moine une douleur insupportable. Après plusieurs mois de
convalescence, Jean-Marie se remit sur pied. Mais il n’avait plus aucun goût
pour le travail, la prière ou la vie monastique. Le supérieur lui offrit le
choix. Rester au monastère ou reprendre la vie civile. Il lui expliqua que la
tragédie vécue qui l’avait mené à la trappe était si particulière que ses vœux
pouvaient être défaits. Il avait eu la permission extraordinaire de la
trappe-mère de rendre la liberté à Jean-Marie. Le moine avait suivi la volonté
de frère Martial. Au début, il n’avait su où aller. Il avait envoyé une courte
missive à sa tante Julianna. Son idée avait été de rejoindre Pierre. Mais sa
tante lui répondit que son cousin était désormais établi en Gaspésie. Jean-Marie
s’était donc trouvé du travail à Mistassini, sur une ferme. Mais il ne fit pas
l’affaire. Il reprit son bagage et repartit. Il sillonna ainsi plusieurs
villages, occupant divers emplois. Jamais il ne pensa aller voir son père. Pour
lui, ce dernier était enterré dans une fosse creusée par des moines. Au fil de
son pèlerinage, sa force et son estime de soi revinrent. Il avait fait une
descente au plus profond de son âme et il en était remonté changé. Il se sentait
solide, maître de sadestinée. Il ne pouvait défaire le passé,
mais il pouvait, dès à présent, se construire un avenir. Il sourit. Après un
petit somme, il reprendrait la route qui le menait à Normandin. Il en avait pour
une bonne semaine. Il espérait y revoir Mathieu. Mais ce n’était pas la présence
de son cousin qui le menait à ce village. C’était une lettre de recommandation
de son dernier employeur qu’il gardait précieusement dans son portefeuille. Ce
dernier avait dit à Jean-Marie que la ferme expérimentale de Normandin se
cherchait un employé. Avec la formation avant-gardiste acquise chez les
trappistes, il était le candidat rêvé. Jean-Marie était déterminé à le
prouver.
— Tu te souviens de mon cousin qui était un trappiste ? demanda Mathieu.
— Celui qu’on avait vu après le mariage de Mélanie ?
— Oui.
— Celui qui a défroqué ?
— Oui, s’impatienta Mathieu.
— J’m’en rappelle pas.
— Jeanne-Ida, arrête de me faire niaiser.
— Ben parle, qu’on accouche. Qu’est-ce qu’il a, ton cousin ?
Le couple se dépêchait. Ils allaient être en retard au spectacle de
musique.
— Il s’en vient. Ça se peut qu’il ait une job à la ferme expérimentale.
— C’est tout ?
— Mais oui, dit Mathieu.
— C’est pas la nouvelle du siècle.
Mathieu se rembrunit. Décidément, Jeanne-Ida était de moins en moins commode.
Ils se fréquentaient depuis des années. Plus àtitre d’amis
qu’autre chose. Jamais leur relation n’avait débouché sur un projet plus
sérieux. Mathieu y pensait, mais à chaque fois qu’il soulevait la question,
Jeanne-Ida le rabrouait.
— Je suis pas prête pour le mariage, disait-elle, et il y a mes études.
Jeanne-Ida était complexe. Elle avait décidé, peu après la décision de Pierre
et Mélanie de rester en Gaspésie, de retourner à l’école pour devenir
garde-malade. Elle avait passé trois longues années, à Chicoutimi, à apprendre
le métier d’infirmière. Elle avait reçu sa coiffe l’automne précédent et était
revenue à Normandin avec une belle photographie d’elle posant fièrement pour sa
graduation. C’était tout ce qu’elle avait fait de ce diplôme. Mathieu, qui se
plaisait au village, avait gardé son emploi au magasin de la tante Édith. Il
avait consacré ses loisirs à écrire et écrire. Il avait rempli des cahiers de
poésie, raturant, recommençant, brûlant la majorité de ses œuvres. Il n’arrivait
pas à trouver son essence, la clé de son propre cœur… Mais il ne s’en faisait
pas trop. Il se sentait bien. Quelques filles du coin lui faisaient des yeux
doux, mais il se retranchait derrière la promesse qu’il s’était faite d’attendre
le retour de Jeanne-Ida. La nouvelle infirmière s’était installée chez sa tante
Langevin et aidait la mère de Mélanie à la maison, promettant de bientôt se
trouver du travail. Mais
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