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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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baleines ! cria Pierre à
     Mélanie.
    Assise à l’avant de l’embarcation, elle lui fit signe qu’elle était d’accord.
     Pierre pointa le nez du bateau en direction de ces géantes des mers et prit de
     la vitesse.
    Heureux, sur le coup d’une impulsion, il cria à sa
     femme :
    — Mélanie, si on habitait ici pour toujours ?
    Sa femme perdit le sourire. Elle plongea son regard dans celui de Pierre.
    Face à face, ils s’observèrent. Les cheveux battant au vent, avec le fracas de
     la mer, Mélanie eut le vertige. Tous ces derniers jours, elle avait eu
     l’impression d’être en équilibre précaire. Elle sentait que la vie essayait de
     lui dire quelque chose. Elle affectionnait miss Harrington, Timmy et ses
     drôleries… Mais, ils étaient si loin de tout, sa famille, son village. Elle
     avait prévu beaucoup de choses avec Pierre, leur logement, le prénom de ses
     enfants, et elle voyait les jours devant elle en un doux avenir tranquille. Son
     mari l’avait amenée à l’aventure, lui faisant découvrir chaque jour de nouveaux
     horizons. Tout cela était si troublant, si déroutant. Elle voulut répondre non à
     son mari : « Rentrons au port, on s’est déjà trop éloignés du bord… Ne prenons
     pas de risque, reprenons notre vie. »
    Tout à coup, un spectacle inattendu se produisit. Une horde d’oiseaux blancs
     avaient repéré, eux aussi, les baleines. Du haut du ciel, ils en suivirent un
     instant le sillage. Ils savaient que la présence des mammifères géants annonçait
     le festin, l’abondance d’un banc de poissons. Sans aucun signe avant-coureur,
     avec une rapidité étonnante, chaque oiseau tourna d’un coup sec sur lui-même et
     plongea la tête la première en une flèche puissante. Les ailes repliées et
     collées au corps, ils s’enfoncèrent dans l’eau. Le plongeon des oiseaux dura un
     bref instant. Pierre et Mélanie étaient ébahis par la démonstration de haute
     voltige. La jeune femme admira le dernier plongeon d’un retardataire. Elle
     regarda à nouveau son mari. Vivre dans un monde où des géantes chantaient et
     dansaient dans la mer, où un ami imaginaire faisait partie de la famille, où une
     femme pouvait sculpter et peindre sa vision de l’univers, où on était loin de
     tout, mais proche de l’essentiel,vivre dans un monde où même
     les oiseaux prennent le risque de plonger, pourquoi pas ? Pourquoi pas
     eux ?

    Le camion plongea dans le fossé. Jean-Marie cria, mais il était trop
     tard.
    C’est lui qui conduisait. Frère Martial avait pris place à ses côtés. Les deux
     moines avaient emprunté le chemin cahoteux qui serpentait derrière le monastère.
     Ils devaient se rendre jusqu’aux abords de la forêt, au troisième rucher. Pour
     Jean-Marie, cette expédition était un cadeau du ciel. Il aimait le sentiment de
     liberté qu’offraient ces instants derrière le volant. Son compagnon lui souriait
     gentiment. Frère Martial était devenu son père spirituel. Par sa gentillesse et
     une réelle tendresse, le vieux moine avait réconcilié Jean-Marie avec les
     tragédies de sa vie. Le monastère et l’affection de frère Martial lui
     permettaient d’exister. En silence, se parlant par signes comme c’était la loi
     du monastère, ils discutaient d’abeilles. Jean-Marie descendait une pente quand
     les freins, tout à coup, avaient refusé d’obéir. Il ne put éviter au camion de
     se renverser dans le fossé. Celui-ci se retrouva sur le côté, écrasant son ami
     qui avait été éjecté par l’impact. Jean-Marie, secoué, réussit à s’extirper de
     sa fâcheuse position. Il accourut au secours de son passager. Celui-ci respirait
     encore. Calant fermement sa jambe boiteuse dans le sol, il essaya de soulever la
     lourde masse de tôle. En vain... Il hurla au secours et essaya encore une fois
     de libérer le moine. Pendant le reste de sa vie, il aurait le dos fragile à la
     suite de ces tentatives insensées. Désespéré, il se laissa tomber aux pieds du
     mourant. Les lèvres de frère Martial bougeaient. Il essayait de lui dire quelque
     chose. Jean-Marie se pencha et reçut les dernières paroles du vieil homme au
     creux de l’oreille. Surpris, Jean-Marie les avait écoutées. Cela le concernait. Elles lui étaient destinées. Il se releva et alla
     chercher de l’aide. Claudiquant, jurant sur sa maudite infirmité qui le
     ralentissait, il parvint à monter jusqu’à la vue de ses compagnons

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