Les porteuses d'espoir
Jeanne-Ida remettait à plus tard ce projet. Elle
arguait qu’elle était très fatiguée d’avoir tant étudié, qu’elle désirait se
changer les idées un peu avant d’entreprendre son métier. L’hiver était passé et
maintenant l’été. Mathieu se dit qu’il était peut-être temps de la convaincre de
l’épouser.
En chantonnant, Julianna s’assit à la table et ouvrit son courrier personnel.
Elle commença par la lettre de Paris. Elle fronça lessourcils
et perdit de sa bonne humeur. Elle était inquiète pour Yvette. Ses dernières
missives se faisaient de plus en plus rares et Julianna sentait qu’elle n’était
pas aussi heureuse qu’elle semblait vouloir l’en convaincre. Julianna avait
commencé à laisser entrevoir la possibilité qu’elle et François-Xavier aillent
lui rendre visite. Avec son salaire, elle mettait de l’argent de côté depuis des
années pour ce voyage en Europe. Mais sa fille ne démontrait pas grand
enthousiasme. Au contraire, elle lui écrivait de ne pas venir, qu’elle aurait
peut-être un engagement hors de la ville, bref, Julianna sentait qu’il y avait
quelque chose de pas très net. Elle était bien contente d’avoir demandé à Laura
de passer la voir. Laura avait décidé de devenir missionnaire. Elle était
devenue une petite sœur d’Afrique. Elle passerait par Paris rejoindre un groupe
de religieuses, irait en Angleterre pour une dernière formation et vivrait
désormais chez les Africains pour le restant de ses jours si Dieu le voulait…
Julianna lui avait caché son désarroi et avait fait bonne figure. Elle lui avait
cependant demandé la faveur d’aller voir ce qui se passait avec sa sœur. Comme
disait son mari, elle devait encore s’inquiéter pour rien ! Elle jeta un œil sur
la pendule. Elle avait encore un peu de temps devant elle. Elle avait
rendez-vous avec son patron, avec Yves… Il voulait lui parler d’un nouveau
projet. Elle portait sa robe préférée et avait arrangé ses cheveux, qu’elle
teignait maintenant d’un beau blond cendré, en une jolie coiffure qui lui allait
comme un gant. Elle avait maigri ces dernières années et avait retrouvé une
jolie taille dont elle était fière. Elle sourit en pensant aux compliments
qu’Yves ne manquerait pas de lui faire lorsqu’elle le rejoindrait au bureau.
Avec culpabilité, elle chassa rapidement son patron de son esprit. Elle ouvrit
la deuxième lettre, qui lui venait des États-Unis. Tiens, se dit-elle, ce
n’était pas l’écriture de sa sœur… Julianna reçut la nouvelle comme une gifle.
Marie-Ange, Marie-Ange était décédée, là-bas, aux États-Unis. La lettre venait
de lui parvenir, unmois après sa mort. Choquée, elle fondit en
larmes. Marie-Ange, sa chère Marie-Ange… Toujours ces départs… Au moins,
Marie-Ange n’avait pas souffert. Son cœur avait lâché, tout simplement. Il avait
cessé de battre dans son lit, la nuit. Sa fille Berthe l’avait trouvée au petit
matin. Berthe était une étrangère pour Julianna. Sa nièce avait quand même eu
l’amabilité de lui écrire un petit mot. Maman m’a beaucoup parlé de vous,
tante Julianna. Je suis navrée… et le bla-bla habituel. Julianna rejeta
la lettre. Marie-Ange lui avait écrit régulièrement, sans faute. Julianna savait
la joie qu’elle avait eue de retrouver ses enfants et de pouvoir partager avec
eux quelques instants de bonheur. Un bonheur fragile, certes, mais dont
Marie-Ange avait apprécié chaque seconde.
— Tu verras, quand tu seras grand-maman comme moi, tu comprendras, lui
avait-elle dit. Et tu deviendras aussi gaga que je le suis avec mes
petits-enfants, américains ou pas…
Hélène entra dans la cuisine. Rapidement, Julianna se détourna et essuya ses
larmes. Elle ne voulait pas que sa nièce la voie dans cet état. Elle replia la
lettre et la serra dans le décolleté de sa robe, avec son mouchoir. Elle lui
tourna le dos, se mettant à faire du café. Elle voulait attendre avant de lui
annoncer la mort de celle qui l’avait élevée. Il lui fallait reprendre un peu de
force elle-même avant de pouvoir consoler quelqu’un d’autre. Hélène s’était bien
acclimatée quand elle avait su que sa nouvelle maison serait désormais à
Chicoutimi. À côté d’Yvette, sa nièce, à part quelques sautes d’humeur normales
par mois, était facile à vivre. Elle appréciait
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