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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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l’entrée des artistes et des instruments. Jeanne-Ida poussa
     Mathieu contre l’escalier et se colla à lui.
    — Embrasse-moi, Mathieu…
    Mathieu s’exécuta. Jeanne-Ida se recula puis elle lui prit les mains et les
     posa sur sa poitrine. Mathieu ne se sentait pas bien. Il ne comprenait pas trop
     ce qui se passait. Quand Jeanne-Ida lui mit effrontément une main sur son
     entrejambe, il se recula, au bord de la panique.
    — Jeanne-Ida… je…
    C’était comme si un énorme rocher pesait sur lui. Pourtant, il désirait la
     jeune femme, il la trouvait belle.
    — C’est ben ce que je pensais. T’es même pas un vrai homme, Mathieu. T’es rien
     qu’un grand parleur p’tit faiseur. Je le sais pas ceque tu
     voulais me demander, mais peu importe ce que c’est, la réponse est n-o-n
     « non », tu sais comme niochon, pas bon, molasson…
    Jeanne-Ida le laissa planté là.
    Qu’est-ce qui se passait avec lui ? Pourquoi perdait-il tous ses moyens quand
     une fille l’approchait ? Il aimait le corps des femmes, il en était certain,
     mais quelque chose bloquait en lui. Une voix d’homme le fit sursauter. C’était
     le chanteur qui venait de sortir pour fumer une cigarette pendant sa
     pause.
    — Tu as du feu ? demanda-t-il à Mathieu.
    Mathieu sortit un paquet d’allumettes et le tendit au chanteur.
    — Tu en veux une ? fit l’inconnu en offrant une cigarette.
    Mathieu accepta.
    — Merde, j’ai raté ta dernière allumette. Viens avec moi dans ma loge, j’en
     ai.
    Mathieu refusa.
    Le chanteur eut un instant d’hésitation. Il s’approcha, très près, et lui
     susurra quelque chose à l’oreille. Mathieu déglutit et se recula, faisant un
     signe négatif de la tête.
    Avec une petite moue d’indifférence, l’artiste sortit un nouveau carton
     d’allumettes et sans se soucier d’éventer ainsi son mensonge précédent, s’alluma
     une cigarette. Il exhala une longue bouffée.
    — Pourtant, c’est rare que je me trompe, dit-il. J’ai vu comment tu me
     regardais sur la scène, pendant que je chantais… je pensais que ça te plairait,
     ce que je t’ai dit tantôt… Astheure il faut que j’aille finir mon numéro de
     chant. Si tu changes d’idée, je vais être dans ma loge après.
    Quand la lourde porte de métal se referma sur le chanteur, Mathieu avait
     doucement glissé par terre. Se prenant la tête entre les mains, il avait
     silencieusement pleuré. Pourquoi ? Pourquoi n’était-il pas normal ?

    Le lendemain matin, Jeanne-Ida vint s’excuser. Que se
     passait-il avec elle ? Pourquoi avoir été si méchante avec Mathieu ? Elle aimait
     bien le jeune poète… Mais elle ne ressentait pas de frisson. Elle voulait, comme
     Mélanie, connaître le grand amour, perdre pied, ne plus respirer, perdre le
     contrôle de ses sens. Quand sa cousine, avant son mariage, lui confiait le
     chavirement qu’elle ressentait rien qu’à entendre prononcer le prénom de son
     futur, Jeanne-Ida bouillait de jalousie. Pourtant, ce Pierre était bien
     ordinaire. Il n’était même pas beau. Un homme aux cheveux roux, avec une
     cicatrice au visage en plus. Au moins, Mathieu avait un peu plus d’allure, mais
     physiquement, vraiment, il la laissait indifférente. Elle avait pensé jeter son
     dévolu sur le docteur Poissan, mais elle ne voulait pas des restes de Mélanie.
     Être le pis-aller, non merci pour elle. En plus, ce docteur se prenait pour un
     autre. Quand elle avait appris que Mélanie resterait en Gaspésie, elle avait été
     démolie… Sa cousine la trahissait. Elle détesta Pierre qui lui avait ravi
     Mélanie et la retenait loin, si loin. Cette dépendance envers sa cousine
     remontait à l’enfance. Petite fille, sa mère était si impatiente envers elle.
     Jeanne-Ida se souvenait de pleurer à fendre l’âme pour recevoir un peu
     d’attention. Mais ses parents travaillaient si fort, ils n’avaient pas de temps
     à consacrer à une huitième enfant. Jeanne-Ida s’était toujours sentie
     abandonnée, seule, inquiète. Elle se rappelait un soir d’orage, elle avait six
     ou sept ans, elle était seule dans la maison, il faisait noir, ses parents
     étaient sortis s’occuper des bêtes ou n’étaient pas revenus du village encore,
     elle ne savait plus. Pourquoi était-elle seule ? Cela non plus n’était pas
     clair. Mais Jeanne-Ida se souvenait très bien de la terreur qui l’avait habitée,
     cachée sous la table, scrutant la porte

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