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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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crème. Après, il rentrerait au camp. Pierre commençait à
     vraiment geler. À la maison, il n’aurait pas eu froid. La chaleur de la
     cuisinière au bois, qui n’aurait pas dérougi de la cuisson des pâtés à la
     viande, de la tourtière, des tartes, l’aurait amplement réchauffé. Au lieu de
     s’agenouiller dans une cabane de bois ronds avec des bûcherons, il aurait été à
     la messe de minuit en famille. À leur retour, endormis par la longueur des
     célébrations, sa mère les aurait réveillés au son du magnifique piano à queue,
     fierté de tout le comté. Son père blaguait souvent en disant qu’il pourrait
     organiser des visites payantes et se mettre riche rien qu’avec les curieux qui
     s’inventaient des excuses pour venir jeter un coup d’œil sur le gigantesqueinstrument qui prenait toute la place dans leur salon. Pas une
     année, lors du réveillon, on ne manquait de relater l’anecdote de ce piano. En
     secret, son père l’avait fait transporter sur un traîneau et envoyé à sa mère.
     Il ajoutait, les yeux brillants, qu’il avait fait une deuxième surprise à tout
     le monde en descendant du chantier pour venir réveillonner avec sa femme et ses
     enfants. Comme cela avait été le dernier réveillon avant le grand feu, un pesant
     silence s’installait toujours avant que son père ne le chasse en suppliant sa
     princesse de leur jouer son cantique favori. Sa mère se serait exécutée, une
     larme au coin des yeux, et elle aurait joué avec toute son âme pour celles
     parties beaucoup trop tôt au paradis. L’envie de pleurer de Pierre revint en
     force. Il aurait donné n’importe quoi pour fêter la naissance du petit Jésus
     ailleurs qu’ici, caché dans la forêt, sous un faux nom. Être chez lui, parmi les
     siens... Il n’avait pas l’habitude de s’apitoyer ainsi sur son sort, mais Pierre
     trouvait que la vie était vraiment trop injuste et difficile envers lui. Il
     regarda son troisième et dernier morceau de sucre à la crème. Il hésita avant de
     l’engouffrer à son tour. C’était une bien mince consolation, mais c’était mieux
     que rien.

    Julianna laissa vibrer la dernière note de Sainte Nuit. Après un long
     moment, elle se tourna vers son public. Son mari berçait le dernier de ses
     enfants, le septième garçon de la famille. Barthélémy aurait-il un don comme la
     coutume le prédisait ? Le don de la faire damner, oui ! Être mère de neuf
     enfants la dépassait. Elle jeta un coup d’œil à sa fille aînée. Yvette affichait
     déjà ses formes de femme. Elle se revit à cet âge, gâtée, élevée par sa
     marraine, une vie princière devant elle. Elle voulait devenir cantatrice. Elle
     toussa. Cette vilaine grippe ne voulait pas guérir. Elle avait dû se résigner à
     seulement jouer la mélodie du cantique. Eninterpellant son
     époux, elle se releva du banc.
    — François-Xavier, va donc coucher c’t’enfant-là au lieu de le pourrir. Il sera
     plus de service ! Il arrive six heures.
    Son ton revêche lui résonna dans les oreilles. Elle était devenue acariâtre,
     elle le savait. Elle ne pouvait faire autrement. Elle aurait voulu revenir en
     arrière, avant... avant le feu, avant... avant quoi ? Son mariage ? C’était
     peut-être ce qui la rendait le plus en colère. C’est qu’elle aimait tant ce
     rouquin d’homme qu’elle l’épouserait de nouveau. Tout aurait été plus simple si
     elle avait détesté François-Xavier. Là, elle était écartelée entre des
     sentiments contradictoires. L’envie de chérir son mari et celle de lui faire
     payer leur misère. Cette minable demeure de ce minable village de
     Saint-Ambroise, de cette minable région du Saguenay— Lac-Saint-Jean ! Si elle
     avait pu, elle lui aurait tout mis sur le dos. La perte de la fromagerie, la
     guerre, le départ de Pierre. Au moins, son fils serait en sécurité et loin
     d’ici, si au printemps prochain, une lettre d’enrôlement forcé lui parvenait. Le
     bureau de poste serait obligé de retourner la missive gouvernementale avec comme
     mention : adresse inconnue. Elle espérait qu’il avait bien reçu son colis, que
     l’écharpe lui serait utile et qu’il se délecterait avec son sucre à la crème.
     Évidemment, il n’était pas réussi comme celui de sa sœur Marie-Ange. Malgré ses
     essais répétés, Julianna n’arrivait jamais à atteindre la perfection. Soit
     qu’elle le retirait du feu trop tôt et

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