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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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femme. Il échouait à défendre les plus faibles. Il
     ne sauvait personne en fin de compte. Lors du feu, il était supposé être chez
     Georges. Il aurait dû être là, les sauver. Mais l’injustice l’emportait plus
     souvent qu’à son tour. Après le drame, il se serait roulé en boule dans un coin
     et se serait laissé disparaître. Il n’y avait pas de justice. Ce mot n’avait
     aucun sens. Il se sentait vieux, inutile, sans descendance. Les luttespolitiques ne l’enflammaient plus. Entre Duplessis et les
     libéraux, c’était du pareil au même. Alors, prendre le fusil avait été sa
     planche de salut. Le Royal 22 e Régiment avait été plus qu’heureux de
     l’accueillir dans ses rangs. Un homme de loi, bilingue, érudit, ayant
     l’expérience de la Première Guerre, était une pièce de choix. Henry avait dû
     utiliser tous ses moyens de persuasion pour faire oublier la terrible pneumonie
     qui l’avait affaibli. Le médecin avait froncé les sourcils en l’auscultant.
     Henry lui avait tenu un discours patriotique qui aurait obligé le docteur à
     signer l’autorisation d’un cul-de-jatte. Dans la boue et la neige du mois de
     décembre italien, Henry se rendait compte que ses armes avaient toujours été les
     mots. Porter le fusil n’était pas fait pour lui. Mais combien de ces hommes en
     uniforme étaient faits pour ce fardeau ?
    — Hé ! sergent pépé, encore en train de rêver à ta jolie garde-malade ?
    Henry sourit à son compagnon d’armes. Étant certainement un des plus vieux
     soldats à la ronde, il ne se formalisait pas de ce surnom. Blessé à une jambe
     par un éclat d’obus alors qu’il était en Angleterre, il avait été soigné par une
     jolie infirmière londonienne. Ses amis ne se lassaient pas de se faire raconter,
     en menus détails, réels et inventés, ces mains caressantes qui l’aidaient à se
     relever, à se laver et se raser. Henry leur rapportait la forme des courbes, la
     chaleur du corps de celle-ci lorsqu’elle se penchait vers le blessé. Il ne
     démentit pas le jeune Gagnon même si le souvenir de sa convalescence était bien
     loin dans ses pensées.
    — Ben certain mon Bertrand, et tu m’as dérangé en plein au moment
     crucial.
    — Ah, ben ! c’est pas de ma faute sergent, c’est ce monsieur qui désire vous
     parler, pronto.
    Henry réalisa qu’un homme se dandinait derrière le soldat. Il le reconnut tout
     de suite. C’était le journaliste de guerre MarcelOuimet qu’on
     qualifiait des « yeux et des oreilles de l’Amérique francophone ».
    — Sergent Vissers, l’interpella le journaliste. Je peux vous poser quelques
     questions ?
    Henry s’alluma une cigarette. Gagnon salua et s’en retourna. Il voulait
     profiter pleinement du peu de temps qu’il restait avant le ralliement.
    Marcel Ouimet prit cela comme un assentiment. Il sortit son calepin et son
     crayon et commença à questionner Henry.
    — Comme ça, nos petits gars n’auront pas de réveillon ?
    — Non, on a reçu l’ordre de s’en retourner au front.
    À l’abri de la pluie battante, les deux hommes s’installèrent dans un coin de
     l’infirmerie. Les brancardiers et les infirmiers avaient préparé une surprise
     pour les soldats et ils entonnaient Holy Night, accompagnés de la fanfare
     du premier régiment. Un coin de l’infirmerie du camp avait même été décoré de
     guirlandes de papier.
    — Parlez-moi du major Paul Triquet et de la bataille du 14 décembre
     dernier.
    — Le major devrait être décoré pour ce qu’il a fait.
    — C’est bien mon avis aussi. D’après ce que j’en sais, c’est un haut fait
     d’armes héroïque.
    — Oui, mais on a tant perdu.
    — Il ne reste que vous et deux autres sergents en plus du major.
    — Et que neuf soldats... On était partis quatre-vingts. Vous allez enregistrer
     à la radio ?
    — Oui, pour Radio-Canada, à Montréal.
    — Montréal... Parlez-moi de chez nous, demanda Henry.
    Lui et les autres membres de l’armée vivaient dans un autre univers. Toutes
     leurs perceptions étaient changées. Ils exécutaient les ordres. Ils ne
     décidaient plus de quoi que ce soit. On les avait pris en charge. Leur
     habillement, leur horaire, leurs divertissements.Ils n’avaient
     pas à se demander ce qu’ils allaient manger. Les soldats affectés aux cuisines
     ouvraient une boîte de conserve notée A ou B selon les quantités. À vrai dire,
     la plupart, comme

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