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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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moyen de partir… Elle aurait aimé aller se cacher dans le bois comme son frère
     Pierre ou s’engager à la guerre comme Elzéar. Au village, une de ses amies, plus
     âgée, terminait ses études d’infirmière à Chicoutimi. Dès qu’elle serait
     diplômée, elle s’engagerait dans l’armée. Yvette s’imaginait dans l’uniforme
     canadien seyant, la jupe bien serrée sur ses fesses, la veste moulant sa
     poitrine, le béret coquettement placé de côté sur ses cheveux savamment vagués,
     soignant un pauvre soldat aux yeux de braise, débordant d’amour pour elle.
    — Yvette, fait bouillir de l’eau pour du café, lui cria sa mère du salon.
    La jeune fille délaissa son ouvrage et obéit.
    Un jour, bientôt, elle serait autre chose que leur servante.

    Pierre secoua ses bottes sur le pas de la porte du camp principal, celui où ils
     dormaient sur des couchettes superposées. Au milieu trônait le poêle à bois. Dès
     qu’il mit un pied à l’intérieur, Gros Jambon vint le narguer. Le bûcheron au
     ventre proéminent ne fuyait pas la conscription. Il était un déserteur. Il y en
     avait quelques-uns au camp. Ici, on ne posait pas de questions. C’était la loi
     tacite. Il n’y avait que Gros Jambon qui non seulement ne cachait pas sa fuite
     du camp d’entraînement de l’armée, mais s’en vantait :
    — J’ai signé mon X parce que j’étais saoul, ça fait que ça compte pas.
    Quant à lui, Pierre se disait que l’armée ne devait pas chercher fort cette
     recrue de graisse. Peut-être même avait-elle été soulagée de sa
     disparition.
    — Hey le Curé, t’es allé te mortifier encore ?
    Pierre s’était attardé plus longtemps qu’il ne l’avait cru. Il
     retira sa tuque et la débarrassa de la neige. Tout à coup, Gros Jambon blêmit.
     Il venait d’apercevoir l’Amérindien qui se tenait quelques pas derrière
     Pierre.
    — Il m’a suivi, expliqua Pierre.
    Chapeau, qui avait perdu toute trace de sourire, lui aussi, dévisagea le gros
     bûcheron.
    — Sacre-moé le camp d’icitte, le Peau-Rouge, ordonna Gros Jambon en reprenant
     contenance.
    — Il est avec moi, riposta Pierre. Je l’ai invité à entrer.
    — Hé ! le Curé, faut pas ambitionner sur le pain béni, hein, les autres ?
    Gros Jambon semblait avoir retrouvé toute son assurance.
    Quelques bûcherons paressaient sur leur couchette, reprisant un vêtement, un
     bas, ou somnolant. Quelques-uns jouaient une partie de cartes, un autre lavait
     son linge ou relisait pour la centième fois la dernière lettre reçue de sa
     famille. Ils étaient beaucoup plus calmes qu’au souper, tuant le temps en
     attendant que minuit sonne. La plupart émirent un grognement d’acquiescement aux
     paroles de Gros Jambon.
    — Tu vois, pas de Sauvage icitte dedans, dit celui-ci. Ça pue déjà en
     masse !
    Le corpulent bûcheron se trouva bien drôle.
    Pierre hésita. Il avait été trop mis à part dans sa vie, à cause de la couleur
     de ses cheveux ou de sa cicatrice buccale, souvenir d’un accident qui lui était
     arrivé bébé, pour accepter cette décision sans rien dire. Il affronta du regard
     le déserteur. Non vraiment, il ne ressentait décidément pas grand sentiment
     chrétien envers lui. Un autre déserteur, assis sur le bord de sa couchette,
     délaissa la lecture de sa lettre pour s’interposer.
    — Laisse donc tomber Gros Jambon. C’est toujours ben Noël après toute.
    — Toé, le Picoté, on t’a rien demandé.
    Les yeux de Pierre lancèrent des éclairs. Il se détourna pour faire entrer de
     force l’Amérindien ; celui-ci avait disparu.
    — Y en a au moins un qui a un peu de jarnigoine, dit Gros Jambon.
    Satisfait, il passa devant le Picoté et alla déranger une partie de cartes en
     cours. Il ficha une claque derrière la tête d’un joueur.
    — C’est-tu plate, c’est toé qui a la dame de pique !
    — Maudit, Gros Jambon, ferme-la un peu, ciboire de sacrament, j’m’en allais
     gagner.
    Pierre termina de se dévêtir et alla rejoindre le Picoté.
    — C’est une lettre de chez vous ? demanda Pierre au bûcheron.
    — Oui.
    Les deux hommes restèrent un moment sans rien dire. Pour la première fois,
     Pierre avait envie de créer des liens. Au lieu d’aller s’isoler, il
     insista.
    — Une lettre de ta mère ?
    Le Picoté, un air méfiant, répondit sèchement :
    — Ma mère est morte quand j’étais petit.
    — Ah ! je savais pas... Tu veux

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