Les porteuses d'espoir
mais je veux votre histoire, votre cœur.
Henry se ralluma une autre cigarette avant de commencer à raconter.
— Les petits gars étaient si fiers. On était une équipe. On se faisait
confiance aveuglément. Pas une pomme pourrie, rien que des cœurs à la bonne
place. Ils voulaient faire honneur à la bataille de Vimy, à leurs
prédécesseurs.
— Ah ! le 22 e , les héros de la Grande Guerre.
— Oui, notre désir le plus cher était de se révéler à la hauteur de ces
glorieux.
— Vous l’avez été.
— On est en Italie depuis l’automne. Au début, ça allait assez bien. Les Boches
fuyaient devant nous.
En bon journaliste qu’il était, Marcel savait écouter. Il voyait
bien que ce sergent cherchait à éviter le sujet de la bataille. Il y avait si
peu de survivants de cette journée meurtrière. Il devait en relater les
événements. Il en connaissait déjà les grandes lignes, à savoir que la troupe
était partie vers le matin et qu’ils avaient reçu comme ordre de prendre la casa Berardi , un hameau de quelques fermes. Situé en un endroit
stratégique, il était vital que les Alliés s’en emparent. Un soldat arriva en
chahutant auprès du journaliste, le dérangeant pendant son interview avec Henry.
Dans ses mains, il tenait une petite boîte de conserve.
— C’est-y pas beau c’te musique de Noël, hein, mon sergent ? Tenez, je vous ai
apporté des candy . On est-y pas gâtés, vous pensez. C’est pour nous faire
avaler de s’en retourner au front la nuit de la naissance du petit Jésus. Si on
en donnait aux Allemands, ils viendraient peut-être giguer avec nous
autres ?
Henry refusa les bonbons.
Le soldat tendit la boîte de fer au journaliste. Ce dernier choisit un de ses
préférés, un rayé rouge qui goûtait la cerise.
— C’est drôle de penser que voilà presque trente ans, des soldats avaient fait
une trêve la nuit de Noël avec des Allemands, dit Henry.
— C’est vrai ? dit le jeune soldat. Pendant la Première Guerre ?
— Ils avaient fraternisé et même échangé des cadeaux.
— Ils s’étaient fait prendre en photo, bras dessus, bras dessous, surenchérit
le journaliste, qui connaissait l’histoire.
— Tout avait été censuré.
— Les états-majors n’étaient pas contents. De chaque côté, on les a menacés de
la peine de mort s’il y avait encore quelque signe de fraternisation.
— Vous voyez, dit Henry, cette nuit de 1914, la guerre aurait pu se terminer
parce que de simples soldats en voyaient la bêtise.
Le soldat aux bonbons s’exclama :
— Cette fois-ci, les généraux prennent pas de chance. Ils nous
envoient nous tirer dessus avant qu’on se laisse attendrir.
— Attention à vos paroles, soldat Gagnon, le réprimanda Henry.
Le soldat piqua du nez. Il ne fallait jamais remettre en question les décisions
des hauts gradés.
— De toute façon, ce n’est pas la même guerre, dit le journaliste.
— Vous avez bien raison, dit Henry. Et ce ne sont plus les mêmes Allemands non
plus. La première fois, je crois qu’ils ne désiraient pas plus se battre que
nous autres. Ils avaient dans leur poche une photographie de leur épouse,
fiancée, mère, sœur, et le même désir que leurs ennemis de quitter les tranchées
et d’aller se blottir au chaud dans leurs foyers. Mais dans cette guerre-ci, les
Allemands traînent avec eux la photo de leur führer ...
Les trois hommes restèrent un instant silencieux, écoutant l’ Adeste
fideles . Le journaliste eut l’idée d’un autre reportage, sur cette
étrange nuit. Il dirait : « Pour la première fois de la guerre, des soldats
canadiens passent Noël sur la ligne de feu. Un Noël dans la boue et à la
pluie battante, avec l’espoir de redonner au monde et à tous ceux pour
lesquels aujourd’hui ils ont une pensée spéciale, la paix la plus
complète 1 . »
Le soldat essuya une larme au coin des yeux.
— Ouais, c’est beau à faire pleurer c’te musique-là… Ben moé, je vas m’en
retourner.
— Attendez, vous étiez à la casa Berardi ? demanda le
correspondant.
— Oui, soldat première classe, monsieur.
— Est-ce vrai que le major Triquet vous a crié de ne pas avoir peur ?
Au contraire d’Henry, le soldat ne se fit pas prier pour parler
de la bataille. Fier d’être ainsi questionné, il relata :
— Nous étions à la moitié de la casa Berardi pis
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