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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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maison. Quand madame Langevin s’excusait de leur chamaillerie,
     Pierre répondait, avec un doux sourire, qu’il savait ce que c’était, que lui
     aussi venait d’une famille nombreuse. Les enfants Langevin avaient adopté le
     jeune homme à titre de grand frère. Les petits voulaient grimper sur ses genoux,
     les autres l’invitaient à jouer. Seule l’aînée lui battait froid, sans qu’il
     sache trop pourquoi d’ailleurs. Mélanie semblait passer son temps à épier sa
     façon de bouger, de manger, de s’asseoir. Il surprenait fréquemment ses coups
     d’œil. Il ne savait comment agir envers l’adolescente. S’il lui souriait, elle
     se détournait, semblant trouver offensant qu’il se permette cette familiarité.
     S’il la taquinait, comme il l’aurait fait avec sa sœur Yvette, elle restait de
     marbre. En ce dimanche pluvieux, celle-ci avait invité sa cousine Jeanne-Ida à
     venir écouter des disques au salon. Madame Langevin racontait qu’elle avait
     économisé les bouts de chandelle pour s’offrir ce Victorola portatif, mais
     qu’elle n’en regrettait pas un seul sou. Elle affirmait qu’elle baiserait les
     pieds à cet inventeur de génie qui avait réussi à emprisonner le son et la voix
     de quelqu’un sur un simple disque. Quelques tours de manivelle et la magieopérait. Pierre se doutait bien que ce n’était pas seulement le
     fait d’entendre s’élever la voix de Tino Rossi qui plaisait tant à la femme.
     Pendant que l’épais rond noir tournait sous la fine aiguille, sa ribambelle
     d’enfants se tenait tranquille pendant de précieux moments. Elle pouvait
     tricoter et se relaxer. Des heures bénies avant de reprendre l’ouvrage du lundi
     matin. Évidemment, elle se faisait un point d’honneur à détricoter les derniers
     rangs au fur et à mesure. Au questionnement de Pierre devant ce curieux manège,
     elle répondait que c’était dimanche. On n’avait pas le droit de travailler à
     moins que le curé ne leur en donne la permission comme voilà quelques semaines.
     Il y avait eu tant de jours de pluie ! Le travail du fermier était en retard,
     alors on ne pouvait se priver d’un dimanche de beau temps.
    — Ce n’est pas pareil chez vous ? Ta mère tricote pas ?
    — Oui, un peu... Mais ma mère, elle joue du piano le dimanche pis elle
     chante.
    Pierre avait essayé de décrire le piano à queue. Personne n’en avait jamais vu.
     Ils n’en soupçonnaient même pas l’existence !
    — Une queue comme celles des vaches ? avait demandé un des petits
     derniers.
    Mélanie avait clos la discussion en affirmant que de toute façon, le Victrola et ses  78 tours étaient bien mieux que n’importe quel
     piano. On était certains que le chanteur ne faussait jamais. Mélanie était
     justement en train d’écouter un disque du soldat Lebrun et Pierre n’en pouvait
     plus d’entendre l’homme à la voix nasillarde se plaindre de s’ennuyer de sa
     fiancée, accompagné d’accords malhabiles de guitare. Pierre partit à rire.
    — Pauvre Mélanie, t’a pas de goût si t’appelles ça bien chanter !
    Sa cousine Jeanne-Ida sauta sur l’occasion.
    — Tu vois, Joe aussi y l’aime pas ton soldat. On change !
    — Non, déclara Mélanie. Quand on met un disque, on l’écoute jusqu’au bout.
     C’est le règlement.
    — Le règlement de qui ? demanda la cousine d’un air
     perplexe.
    Mélanie bafouilla.
    — Le... le règlement de... de matante Édith.
    — Matante Édith a jamais dit ça !
    — Oui, dit Mélanie en tenant tête à sa cousine.
    Pierre avait mis du temps à démêler un peu les membres de la parenté. D’après
     ce qu’il avait compris, il y avait au moins six autres familles Langevin dans le
     village, toutes apparentées. Il en connaissait la plupart. Il y avait la tante
     Édith, qui était le centre de la dispute. Elle tenait une épicerie, une sorte de
     magasin général, qui appartenait à son mari, l’oncle Paul Langevin. Il y avait
     le cordonnier Langevin, le garage Langevin, les meubles Langevin et fils. Les
     deux autres possédaient une ferme. Cela faisait un nombre incalculable de
     cousins et cousines Langevin. Pierre, qui n’avait pour parenté proche que son
     oncle Georges, était étourdi par cette famille nombreuse. Au fond de lui, il les
     enviait. Quel plaisir de voir ces familles réunies à la sortie de la messe !
     Pendant ce temps, ses cousins Gagné, morts dans le feu, lui

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