Les porteuses d'espoir
d’être
avec ce garçon aux cheveux roux. Avant de pénétrer dans le hangar, elle reprit
son souffle. En pestant contre son uniforme bleu d’écolière, elle lissa de ses
doigts ses cheveux frisés. Elle refit la boucle de son ruban blanc qui ornait le
col de sa chemise. Comment Joe pouvait-il s’intéresser à un épouvantail à
moineaux comme elle ! Elle se pinça les joues pour se donner des couleurs et se
mordit les lèvres pour les gonfler voluptueusement et parer à l’absence de rouge
à lèvres. Redressant les épaules, elle espéra rendre sa poitrine plus généreuse
qu’en réalité. Affectant un air dégagé, elle alla à la rencontre de
l’homme.
— Bonjour Mélanie, la salua-t-il gentiment en l’apercevant. Que me vaut
l’honneur de cette visite ?
— J’aurais ben d’autres choses à faire que de t’apporter ton courrier,
maugréa-t-elle en lui tendant la lettre.
Il ne fallait pas qu’il devine ses sentiments. Elle serait morte de honte s’il
avait su.
— J’ai les mains pleines de graisse. Tu serais ben fine de la mettre dans ma
poche de chemise.
Mélanie hésita. Elle ne pouvait refuser ce service sans paraître vraiment
enfantine. D’un autre côté, cela lui semblait trop intime.
— Allez Mélanie, moi non plus j’ai pas rien que ça à faire, pis y a pas de
place propre sur l’établi.
Gênée, elle s’exécuta. Du bout des doigts, elle tenta maladroitement de faire
entrer l’enveloppe dans l’étroit espace.
— T’as juste à la plier.
Elle se reprit après avoir suivi le conseil de Pierre. À travers le tissu, elle
eut conscience du corps musclé du jeune homme. Malgré lui, Pierre ressentit un
drôle de pincement au creux de sonventre. Ses yeux accrochèrent
les billes bleues de Mélanie. Il pencha la tête vers ce regard rempli d’attente,
de beaucoup trop d’attente. La lettre bien en sécurité dans sa poche de chemise,
il passa un doigt sale sur le bout du nez de l’écolière.
— Dis à ta mère que je m’en viens souper bientôt. Pis oublie pas de te laver le
nez.
— Qu’est-ce qu’il y a, mon Joe ? Ça va pas ?
Pierre venait de s’attabler avec le reste de la famille Langevin. Tout le monde
était bien excité et ils parlaient tous en même temps, racontant leur journée.
Monsieur Langevin était un père de famille bien patient. Il n’exigeait pas le
silence à sa table, au contraire, il aimait ce brouhaha. Évidemment, quelquefois
il devait sévir et donner la fessée ou la ceinture à ses enfants un peu trop
turbulents, mais ce n’était jamais de gaieté de cœur. C’était son rôle de père
de faire la discipline. Quand il rentrait le soir et que sa femme se plaignait
qu’un tel avait fait une bêtise et qu’elle lui avait promis qu’au retour du
paternel, il recevrait la fessée méritée, monsieur Langevin n’avait pas d’autre
choix que de s’exécuter. Au grand soulagement des enfants, il n’y mettait jamais
beaucoup de force. Ses enfants le respectaient. Le père demanda du calme à la
table. Il venait de remarquer l’air défait de Pierre.
Tout en mettant son repas devant lui, madame Langevin s’en inquiéta à son tour.
Pierre était sous le choc de la nouvelle qu’il venait d’apprendre. Il ne savait
comment réagir. Les yeux dans le vide, il resta silencieux. La mère de famille
insista :
— Y a-tu quelque chose qui va pas, mon gars ?
Pierre était porté à souffrir en silence, à chercher un coin secret pour panser
ses plaies. D’un autre côté, partager ce drame ne pouvait qu’être
salutaire.
— C’est mon petit frère Barthélémy… commença-t-il. Il a été ben
malade.
— Ah non ! Joe, dis-moi pas que...
Pour toute réponse, deux larmes roulèrent sur les joues de Pierre.
— Il avait rien que trois ans… ajouta-t-il.
Du revers de la main, Pierre essuya ses larmes.
— Pis je peux même pas descendre trouver ma famille !
Madame Langevin lui mit une main réconfortante sur l’épaule. Elle regarda sa
famille où tous affichaient un air de grande tristesse.
— Les enfants, tout le monde à genoux. Nous allons prier avec toé, Joe, pour ce
pauvre petit bonhomme. Misère de misère, que la vie peut être dure !
Avec la mort de Barthélémy, Yvette relégua son projet de voyage aux oubliettes.
L’image de son petit frère décédé la hanterait pour l’éternité. Comment
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