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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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enfoncer. En silence, il composait.
     Avec fureur, la mélodie se créait. Fiévreusement, il reprenait un accord, trois,
     quatre fois, recommençait du début, insatisfait, rajoutant un passage,
     transcrivant, répétant, cherchant la note parfaite. Il la transcrivait sur le
     papier, en symboles serrés. En dessous, il écrivait les paroles. Des paroles qui
     lui venaient de loin, sans souvenir précis du comment, seuls un vestige, un
     vertige, une ombre, une main sur sa bouche, une emprise sur son corps, un secret
     immonde, immoral, péché…

    Nuits blanches, noires pensées ; chante petit oiseau ; oiseau de malheur, oiseau
     de feu, de douleur. Chante petit oiseau, chante pour moi. Blanches nuits, noires
     pensées ; danse petit moineau ; moineau porte-malheur, moineau de feu, de
     douleur. Pensées de la nuit, blanches et noires entrelacées. Nuits blanches,
     noires pensées…

Hiver 1944 - 1945

    À
la fin de novembre, Pierre quitta les Langevin pour
     monter dans un autre chantier, situé encore en haut de Normandin, mais au lac à
     Jim, cette fois. Mélanie lui avait offert de correspondre avec lui afin de lui
     changer les idées, pour qu’il ne s’ennuie pas trop, pour ne pas broyer du noir
     après la mort de son petit frère, pour...
    — Je veux ben que tu m’écrives, avait accepté Pierre. Comme à un grand frère
     pis tu me donnes des nouvelles de tout le monde, pis moi je vas tout te raconter
     de mon bord.
    En fin de compte, Pierre fut heureux de cet échange. Les lettres de sa mère
     étaient devenues rares et courtes. Le décès de son plus jeune fils l’avait
     fortement affectée. Celles de Mélanie comportaient plein de détails sur la vie
     du village. Il sut que monsieur Gauthier s’était cassé une jambe, le pauvre, en
     tentant de dégager son camion de la boue du chemin, que leur curé avait encore
     des idées de grandeur et que sa cathédrale n’était pas assez décorée à son goût.
     Elle lui confiait que son père désapprouvait cet avis et trouvait cette
     gigantesque église presque indécente quand il y avait tant de familles pauvres.
     Jeanne-Ida lui avait volé le rôle principal dans la séance de leur école. Dès
     les grands froids, elle avait ajouté la description de sa nouvelle robe de
     patineuse. La joie qu’elle éprouvait à chausser des patins était manifeste.
     Pierre lui répondait des lettres banales. Quoi raconter à une enfant ? La vie au
     chantier était plutôt routinière.

    « Chère petite Mélanie,
    La première semaine, après avoir fini de construire le camp, on a tout bien
     défriché autour de la cabane. Un soir, après la prière, le boss nous a donné
     notre cinq minutes pour la pisse. À neuf heures, avant de se coucher, c’est le
     seul moment qu’on a pour aller dehors faire notre besoin. Le grand Girard est
     revenu le dernier en déclarant : “J’étais pourtant ben certain qu’on avait
     enlevé toutes les souches !” On s’est couchés pis on avait tout oublié quand au
     matin, on a vu les traces d’un ours. Dans le noir, Girard avait pissé dessus la
     bête en croyant que c’était un bout de tronc d’arbre ! »

    « Ma famille a trouvé l’histoire de l’ours bien drôle. J’espère que tu aimeras la
     veste que tu m’as demandé de te coudre. Je te l’ai confectionnée exactement
     comme tu me l’as dit. J’ai eu une idée pour que cela marche encore mieux. Tu vas
     voir, chaque poche dans la doublure se boutonne. C’est impossible que ce que tu
     vas cacher dedans tombe par accident. Au couvent, les religieuses disent que
     j’ai beaucoup de talent en couture. En passant, comme je sais que tu adores le
     hockey, tu vas être content de savoir que Maurice Richard a fait huit points le
     28 décembre. »

    « Huit points, tu dis ! J’en reviens pas. Un jour, je vas aller à Montréal le
     voir jouer. Mon père y allait avant quand j’étais petit pis qu’on habitait
     là-bas. La veste est parfaite ! Tu as beaucoup de talent, c’est vrai. J’ai une
     grande nouvelle, tu le croiras pas, mais je te le jure, c’est vrai. Chapeau est
     apparu au chantier. Je comprendrai jamais cet Indien. On dirait qu’il a des
     dons. En tout cas, j’étais content de le revoir. Je lui ai redonné sa chaîne. Il
     porte toujours son vieux chapeau. Il doit être rongé par les mites. Je pense
     qu’il bouge tout seul des fois. »

    « Chapeau est revenu ! Quelle grande nouvelle ! Tu

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