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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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avec la plus grande
     agilité possible, passant d’un tronc d’arbre à un autre, jouant de la gaffe
     comme un virtuose joue de l’archet sur son violon. Ne serait-ce que pour ses
     talents de draveur, l’homme imposait le respect. Le patriarche resta immobile,
     attendant de prendre la parole.
    — La Loutre veut nous dire quelque chose, taisez-vous les gars.
    Tous savaient qu’il était économe de mots, aussi attendit-on avec excitation
     que le vieux draveur ouvre la bouche.
    Le vieillard retira son chapeau de laine.
    — Avant de penser aux réjouissances, y a plus important, il me semble, dit-il.
     Lentement, il mit un genou à terre et sortant un chapelet de sa poche, entama un Je vous salue Marie.
    Tous les hommes l’imitèrent. La Loutre avait raison. Avant de célébrer, on
     devait prier pour toutes ces années de guerre, ces hommes partis combattre,
     morts ou blessés. Ces familles d’Europe, décimées, ces enfants à l’enfance
     fusillée… Prier pour que le Seigneur donne enfin à l’homme l’âge de
     raison…

    Comment avait-il pu oublier que le bruit du vent dans les arbres pouvait créer
     une mélodie harmonieuse ? Pierre était tellement heureux. Il avait l’impression
     de redécouvrir les couleurs de lanature : le vert des fougères,
     le bleu du ciel, le pourpre d’une fleur. Il n’avait pas réalisé à quel point la
     liberté est précieuse. Plus jamais il ne tiendrait pour acquis cet état.
     Quelques gars du chantier avaient décidé de se rendre à Normandin fêter le
     suicide d’Hitler et se payer un vrai bon repas. Ils n’en pouvaient plus de
     souffrir de la faim. Le contremaître était de la partie. Il profiterait du
     voyage pour ramener une cuisinière, une vraie. Pierre n’eut aucun regret de
     délaisser son poste de cuistot. Entassés dans un chariot, chahutant, se passant
     des rasades de gin et de petite bière, les bûcherons firent leur entrée dans le
     village. Pierre sauta en bas de l’attelage rejoindre Chapeau qui les avait
     suivis en coupant par la forêt. Ensemble, ils coururent jusqu’à la ferme des
     Langevin. On accueillit Pierre en véritable héros. Bien plus encore parce qu’il
     ramenait avec lui un Amérindien au grand sourire, portant un vieux chapeau
     miteux. Rapidement, toute la famille s’agglutina autour d’eux. Pierre ne résista
     pas à son impulsion. Il prit Mélanie dans ses bras et la fit tournoyer !
    — La guerre est presque finie ! Vous vous rendez compte, tout le monde,
     f-i-fi-fi-nie !
    Il relâcha la jeune fille qui riait aux éclats, les joues rouges. Ses cheveux
     avaient repoussé. De belles boucles ondulaient sur ses épaules.
    — Tu imagines, ma p’tite Mélanie, les Allemands sont vaincus ! Je m’en vas
     revoir mes vraies p’tites sœurs pis mes p’tits frères aussi. Ils ont dû
     grandir ! Pis maman pis papa pis mon parrain pis le curé Duchaine...
    Madame Langevin eut pitié de l’émotion du jeune homme. Il était évident que
     l’alcool avait coulé à flots sur le chemin. Avec un sourire d’indulgence, elle
     le prit par l’épaule.
    — Ta famille doit avoir ben hâte de te revoir aussi. En attendant, tu vas venir
     reprendre tes esprits un peu. Mélanie, va partir du café pour Joe.
    Il était certainement un peu saoul. Pour la première fois de sa
     vie...
    — Mélanie, tu... tu ressembles à moitié à une fille astheure...
    — Comme ça on est égal, parce que tu ressembles rien qu’à une moitié
     d’homme.
    La jeune fille tourna les talons.
    — Qu’est-ce que j’ai dit, madame Langevin ?
    — Ah ! Joe... Je sais ben que la boisson brouille la vue, mais plus aveugle que
     toé, tu meurs !

    Le surlendemain, il fit ses adieux à la famille Langevin. Il les remercia de
     leur bonté, de leur gentillesse. Un jour peut-être se reverraient-ils. Il salua
     une dernière fois et se dirigea vers l’automobile de l’oncle Paul. La tante
     Édith était au volant. Comme elle avait prévu descendre à Mistassini rendre
     visite à une de ses sœurs, elle avait invité le jeune homme à profiter de
     l’occasion. Quand elle avait mentionné sa destination, Pierre s’était
     exclamé :
    — Mistassini, c’est là que mon cousin Jean-Marie est moine !
    — T’as un trappiste dans la famille ! s’était extasiée la tante Édith comme
     s’il s’agissait d’un exploit.
    — Ben oui.
    Pierre avait raconté brièvement la tragique histoire de son

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