Les porteuses d'espoir
marmite était accrochée
entre deux branches. Dans l’eau bouillante, il jeta un pain de savon et y fourra
le linge de cuisine. Ensuite, il se prépara une pâte de cendre et d’eau et
récura les casseroles. Il frotta aussi longtemps que tout dans la cuisine ne fut
pas d’une propreté exemplaire. Ce soir-là, les gars purent se mirer dans leur
assiette. Ils n’eurent droit cependant qu’au restant de pain et à de la mélasse.
Après avoir tout nettoyé, Pierre avait remis au lendemain la préparation de son
premier repas. En l’espace d’une seule journée, son tablier fut aussi sale
qu’avant, sa chaudronnée de fèves au lard avait pris au fond et il y avait de la
farine et de la saleté graisseuse partout. Son ménage était à recommencer et les
hommes mangeraient encore la même chose que la veille… Quand toutes les réserves
de pain furent épuisées, Pierre dut se résoudre à boulanger. Après plusieurs
tentatives, ces pains qu’il venait de sortir étaient les mieux réussis.
Découragé, Pierre s’épongea le front avec une guenille. Il faisait si chaud
devant ses fourneaux ! Il devait tenir le coup jusqu’en juillet environ. La
drave serait terminée et il se rendrait travailler pour monsieur Langevin, s’il
avait toujours besoin de lui. Soudain, le contremaître déboula dans la
cuisine.
— Dubois, va dehors sonner la cloche, vite !
Que pouvait-il bien se passer, se demandait Pierre en s’empressant d’aller
tirer fermement sur la corde reliée au gong de métal. Son patron l’avait suivi.
L’urgence de la situation était palpable. Dans la forêt, les haches se turent.
Au bord de la rivière, les draveurs relevèrent la tête, attendant de voir si le
signal persistait. Jamais l’ordre de rassemblement n’avait résonné avec autant
d’ardeur. En courant, ils émergèrent des bois et se ruèrent au-devant de leur
nouveau cuisinier. Pierre continua d’agiter frénétiquement la cloche. À côté de
lui, le contremaître regardait en souriant ses hommes s’agglutiner devant
lui.
Lorsque d’un coup d’œil il se fut assuré que la majorité étaitréunie, il fit un signe de la main. Il obtint immédiatement le silence. Pierre
alla rejoindre ses compagnons.
— Les gars, commença le contremaître. Aujourd’hui, on est le 8 mai 1945. Il
faudra se souvenir de cette date.
Les bûcherons échangèrent un regard interrogateur.
— Je viens d’écouter un message à la radio, reprit le chef.
L’homme savoura cet instant où tous étaient accrochés à ses lèvres.
— La guerre est finie en Europe. Les Allemands sont vaincus !
Une exclamation de joie s’éleva. Les hommes se prirent dans leurs bras. Le
contremaître reprit la parole.
— Le gouvernement King a déclaré qu’astheure, y a juste les volontaires qui
vont se battre dans la guerre du Pacifique.
Les commentaires fusèrent :
— Ça veut dire quoi ?
— On peut sortir du bois sans danger ?
— La guerre est-tu finie ou pas ?
— Ah ! ce bon King, vous pouvez être sûrs que je vas encore voter de son bord
en juin prochain ! Il fait de la bonne job à Ottawa !
— La guerre est pas vraiment terminée. Il reste encore le Japon qui se
bat.
— Les déserteurs doivent rester cachés.
— Le plus gros est fait. Ils ont plus besoin de conscrits.
— Y a plus de danger de recevoir une lettre d’enrôlement. Moé, je sacre mon
camp dès demain !
— Mais moé, y va falloir que je reste caché... Je le sais pas ce qui va arriver
avec nous autres, les déserteurs. Je veux pas faire de la prison...
— Duplessis à Québec, King à Ottawa, pis la guerre finie. Tassez-vous de là,
les belles années s’en viennent.
— Comme on est pas grayés de cook, on va se reprendre sur les réserves de
gin !
— Oui, il faut marquer ce grand jour !
Un vieil homme se détacha du groupe et vint se placer près du contremaître. Âgé
de soixante-dix-neuf ans, l’homme longiligne à la stature frêle était le doyen
des bûcherons et certainement de tous les chantiers environnants. Quand Pierre
avait appris que le vieil homme faisait de la drave depuis plus de quarante ans,
été après été, il avait cru à une blague. Les bûcherons devaient lui monter un
bateau ! On l’avait entraîné à la rivière et il avait été témoin de la scène du
vieillard sautant avec prestance sur une roule de billes
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