Les porteuses d'espoir
cousin.
— J’aimerais ben aller lui rendre visite, se dit-il à haute voix.
— T’as rien qu’à embarquer avec moé, le jeune, dit tante Édith.
— J’ai rien à perdre d’essayer.
— À part te retrouver en petits morceaux, je vois pas, avait commenté monsieur
Langevin.
— Je voulais dire de frapper à la porte du monastère, rectifia Pierre.
— Mais t’as jamais vu conduire ma belle-sœur Édith, toé ! Elle sait pas
reculer ! renchérit son hôte.
— Qui a besoin de ça, un reculons ! se défendit la femme. Moé,
quand je m’en vas à quelque part, c’est par en avant que j’y vas. Sinon, aussi
ben de rester chez vous, non ?
— En tout cas, mon Pierre, moé, je te jure, j’aimerais mieux marcher sur les
mains jusqu’à Mistassini plutôt que d’embarquer avec elle. Une femme au volant,
c’est un danger public.
La tante Édith lui avait jeté un regard noir. Pierre n’était pas trop certain
si le fermier parlait sérieusement ou pas. Il n’y avait plus vraiment trace de
taquinerie dans sa voix. La main sur la portière, Pierre eut un mouvement
d’hésitation. À la dérobée, il fit un signe de croix, demandant au Seigneur de
le protéger. Il monta aux côtés de la conductrice. À son grand étonnement,
Chapeau fit pareil et s’installa à ses côtés. L’Indien semblait déterminé à
suivre Pierre plus loin qu’à Normandin.
La tante Édith partit à rire.
— Toi, Chapeau, envoye en arrière.
Le jeune Montagnais culbuta la tête la première par-dessus la banquette avant.
Excité, il battait des mains en étudiant l’habitacle. Pierre tourna
vigoureusement la manivelle de la fenêtre et passa la tête par
l’ouverture.
— Merci ben pour tout encore ! cria-t-il aux Langevin tandis que la tante Édith
mettait le contact.
L’automobile vrombit. Les pneus crissèrent. Pierre s’enfonça dans son siège,
les yeux agrandis de stupeur. La conductrice ralentit son allure, mais cela
n’arrangea rien. L’automobile zigzaguait, la tante Édith semblant incapable de
garder son attention sur la route plus de deux secondes. Sa façon de manier le
volant tenait plus de ces nouvelles danses à la mode que de la conduite
automobile. Avec ce départ sur les chapeaux de roue, il ne remarqua pas madame
Langevin qui serrait contre elle sa fille aînée qui essayait de dissimuler sa
déception.
— Tu m’attends icitte, Chapeau.
Nerveux, Pierre se rendit à l’entrée principale du bâtiment. Rendant grâce à
Dieu d’avoir survécu au voyage avec la tante Édith, il admira le monastère qui
s’élevait devant lui. Pierre ressentit un sentiment d’exaltation tandis qu’il
gravit l’immense escalier. En pénétrant à l’intérieur, Pierre sut qu’il vivait
un moment particulier. Entre ces murs, il se sentit plus proche de Dieu que
jamais. La simplicité des lieux le touchait plus que le faste de l’église de
Normandin. Poliment, il expliqua au moine qui l’accueillit les motifs de sa
venue. On le fit attendre un long moment, assis sur un banc de bois, accoté au
mur lambrissé. Le religieux revint en compagnie d’un de ses semblables. Ce moine
boitait.
Quand il quitta Mistassini, ses bagages s’étaient alourdis d’un gros morceau du
réputé fromage des trappistes destiné à ses parents. Jean-Marie avait insisté
pour lui faire ce cadeau. Toujours flanqué de Chapeau, qui n’avait pas bronché
de l’arbre sous lequel il l’avait attendu, Pierre continua son voyage de retour.
Après avoir fait de l’auto-stop et parcouru des milles à pied, ils arrivèrent
enfin en vue de son village. Ses parents n’étaient pas au courant de sa venue.
Il avait hâte de voir la tête qu’ils feraient. Il avait tant rêvé de retourner
chez lui. Jamais il ne se serait douté que cela serait si différent, qu’il se
sentirait comme un étranger dans la maison de Saint-Ambroise. Il trouva ses
parents changés, sa mère aigrie, son père taciturne, impatient. Il avait
toujours imaginé ses parents proches de la perfection. Son père était un exemple
pour lui, sa mère, une sainte, merveilleuse, aimante... Il retrouvait un couple
qui avait mal vieilli ensemble, que la mort de Barthélémy avaitéloignés. La maison elle-même n’avait plus rien de spacieux et réconfortant.
Ses parents acceptèrent la présence de Chapeau. Comme à l’accoutumée,
l’Amérindien sut
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