Les porteuses d'espoir
pis…
La fureur de Georges explosa. Se levant brusquement, il s’appuya sur la table
et se pencha devant son filleul en crachant ces mots :
— Pour qui tu te prends, espèce de morveux, pour venir me dire, dans ma maison,
ce qu’il faut que je fasse !
François-Xavier essaya de le calmer :
— Ben voyons, Georges, c’était pour ton bien. Y a pas pensé à mal.
— Christ de Rousseau à marde. Tous pareils, du père aux fils. Ça se prend pour
le nombril du monde ! C’est bon à faire des grands sermons sur la montagne, mais
ça se regarde pas de trop proche, par exemple.
— Georges !
— Un fils qui va se cacher dans un trou…
— Mononcle…
— Pierre, va m’attendre dans le char, lui ordonna son père d’une voix blanche.
Obéis, laisse-moi tout seul avec lui.
Estomaqué, Pierre sortit du logement. Il resta au pied de la porte et attendit.
Qu’allait-il se passer ? Allaient-ils se battre ? Il écouta les bruits, prêt à
intervenir s’il le fallait. Il eut beau tendre l’oreille, il ne réussissait pas
à entendre quoi que ce soit.
La porte refermée sur Pierre, d’une voix sourde, François-Xavier dit :
— Si t’as une crotte sur le cœur, c’est le temps de me le dire, Georges. Mais
tu passeras pas ta rage sur mon fils.
— Vous avez du front tout le tour de la tête de débarquer icitte.
— Écoute Georges, je peux comprendre que t’as passé des bouts durs mais…
— C’est ça ton problème, tu penses tout le temps tout comprendre. Mais c’est
pas vrai. Tu vas-tu finir juste par comprendre ça ?
— Tu penses-tu qu’on est pas capables d’imaginer la peine que
ça doit faire de perdre toute sa famille d’un coup ? Julianna pis moi, on a
perdu Barthélémy !
— Ah ben ! c’est la meilleure. T’as perdu un fils, la belle affaire !
— C’est pas plus facile pour nous autres. Il faut continuer pour ceux qui
restent.
— Justement, moé, il me reste plus personne.
— C’est pas vrai ! Maudit, Georges, ça fait quand même presque sept ans. Tu
pourrais au moins parler avec Jean-Marie.
Dans un accès de rage, Georges renversa la table.
— Je veux plus jamais que tu oses prononcer son nom, plus jamais, tu
m’entends-tu ?
— Mais c’est toujours ben pas lui qui a mis le feu pour que tu l’haïsses
autant !
Georges eut presque un rire dément.
Semblant retrouver son calme, mais un calme pas naturel, Georges remit le
meuble sur ses pattes et entreprit de ramasser les peppermints et de les
remettre une à une dans leur bol.
— Pauvre François-Xavier, ça a aucun rapport, reprit-il d’une voix sourde. J’ai
toujours su que le feu, c’était un accident, voyons donc. C’est moé qui aurais
dû aller voir à ce que les deux quêteux attachent pas leur chien après le
naphta. Je le savais, moé, que c’était dangereux. J’aurais dû voir à ma
famille.
Sa voix n’était plus qu’un murmure. Il se rassit et resta un long moment les
yeux dans le vide. François-Xavier était complètement perdu. Il prit place en
face de son beau-frère. Il demanda :
— Ben je vois pas d’abord… Pourquoi t’en veux à Jean-Marie ?
Georges leva vers lui un regard éteint.
— C’est ce que je disais. Tu comprends rien... J’ai jamais aimé une femme comme
ma deuxième épouse. Rolande… Rolande me donnait une jeunesse que j’avais jamais
eue. Quand a me touchait, j’me sentais le Bon Dieu en personne, le seul homme
sur la terre,le seul, le plus important. J’me sentais grand,
fort, beau. Pour une fois, dans ma chienne de vie, j’ai senti que j’avais de la
valeur. C’est ça que mon fils m’a volé. Il a tué le regard que Rolande avait
rien que pour moé avant. Il m’a privé de son amour. Si elle était morte en me
laissant ça au moins…
— Georges… commença François-Xavier.
— Non… Laisse-moi tranquille.
Georges avait presque chuchoté ces dernières paroles sur un ton implorant, les
yeux fermés. Quand il les rouvrit, il s’adressa à son vis-à-vis d’une voix
tranchante.
— Je suis plus capable de te voir la face… As-tu compris François-Xavier
Rousseau ? Je veux plus jamais avoir affaire à toé.
François-Xavier resta sans voix. Lentement, il se leva et sortit rejoindre son
fils. Au visage défait de son père, Pierre n’osa rien demander. Pendant qu’il
conduisait, François-Xavier resta absorbé dans ses
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