Les porteuses d'espoir
pensées. Georges se trompait.
François-Xavier comprenait. Il comprenait qu’un cœur brisé doit parfois se
recouvrir d’une gangue de glace. Après un long, très, très, long hiver, c’est
peut-être le seul moyen de survivre au retour d’un éventuel printemps. Après
être sorti de la ville, il déposa Pierre sur le bord de la route qui le mènerait
vers Tadoussac. Alors qu’ils allaient se séparer, François-Xavier descendit
également de l’automobile. Il alla rejoindre son fils.
— Tu fais attention à toi, mon fils.
— Inquiétez-vous pas, papa.
François-Xavier lui remit un peu d’argent.
— Tiens, on sait jamais.
— Merci ben gros, papa. Mais c’était pas nécessaire.
— T’as tout donné ta paye de chantier à ta mère.
— C’est ben normal.
— Peut-être que je comprends pas vraiment tout, Pierre. Peut-être que j’ai les
yeux fermés sur ben des affaires... Mais nom de Dieu, je veux que jamais tu
doutes de ta valeur. Je suis fier d’êtreton père, ben fier.
Quand tu reviendras de Tadoussac, si t’es encore ben certain...
— J’suis ben certain.
— J’irai te reconduire à Mistassini moi-même.
— Merci beaucoup, monsieur, de m’avoir fait monter dans votre camion.
D’un léger signe de tête, le chauffeur fit signe que cela ne l’avait pas
dérangé. Sans plus tarder, le bon samaritain reprit sa route, laissant sur le
bord du chemin ce gentil jeune homme avec qui il avait partagé le voyage jusqu’à
Tadoussac. Pierre resserra sa veste et enfonça plus profondément sa casquette
sur sa tête. Il détestait cette mauvaise farce que le mois de juin trouvait si
amusante de leur faire subir à chaque année : passer d’une chaude journée
ensoleillée à un lendemain à la pluie glaciale. Juin aimait tant jouer à
cloche-pied entre l’hiver et l’été ! Le voyageur, transi, sortit de sa poche un
bout de papier. Il le déplia et l’étudia soigneusement. Roger lui avait tracé le
plan de son village. Il devait emprunter la route principale qui longeait le
fleuve, la suivre un bon mille à pied avant de passer devant l’église. Après le
cimetière, il remarquerait une bâtisse jaune, le nouveau garage. Il devrait
alors emprunter un chemin qui serpentait vers le bord de l’eau. La maison des
Picard se dresserait de sa blancheur grisonnante dans le creux d’une anse.
Marcher lui fit le plus grand bien. Le pas rapide pour lequel il opta le
réchauffa. Petit à petit, il se sentit revivre. L’aventure n’était peut-être pas
bien grande, mais cela lui suffisait. Il se sentait comme un explorateur, tenant
une carte aux trésors dans ses mains. Il se rapprochait de plus en plus du X de
la maison des Picard. Sans s’en rendre compte, c’est en sifflant qu’il empruntal’allée menant à son objectif. Il avait hâte de se délester
de cette énorme somme d’argent qu’il transportait sur lui. Depuis que Roger lui
avait confié toutes ses économies afin de les remettre à sa famille, Pierre
vivait dans la peur de se faire voler ou de les perdre. Par prudence, il avait
eu l’idée de demander à Mélanie de lui coudre une veste un peu spéciale. C’était
celle qu’il avait sur le dos aujourd’hui, une veste alourdie par une dizaine de
poches invisibles cousues dans la doublure et contenant 829 dollars en tout. Il
gravit les marches de la galerie en même temps que les premières gouttes de
pluie se mirent à tomber. Il frappa à la porte d’un air déterminé. La jeune
femme qui lui ouvrit était si belle qu’il en resta complètement bouche bée.
Comme un imbécile, il perdit toute contenance, ne sachant plus quoi dire pour se
présenter. La femme tint la porte entrouverte un moment, remarquant la cicatrice
et les cheveux roux qui allaient de pair avec les taches de rousseur. Devant la
mine figée du visiteur, elle s’exclama :
— Si mon frère vous avait pas décrit le portrait dans ses lettres, je vous
aurais pris pour le Bonhomme sept heures qui arrive avant son heure !
Pierre réalisa que la personne en face de lui était la sœur de Roger, celle qui
lui écrivait des lettres par dizaines, celle dont il avait, malgré lui, rêvé la
nuit. Le fantasme était revêtu d’une robe lilas au décolleté en cœur, à
l’encolure large, à la taille cintrée et à la jupe en corolle qui atteignait à
peine les mollets. Elle était sans bas,
Weitere Kostenlose Bücher