Les porteuses d'espoir
raison, papa.
La taille épaissie, les seins flasques... quelques cheveux blancs... une peau
vieille de quarante ans... Enfermée dans sa chambre, Julianna se détaillait de
la tête aux pieds devant son miroir. Avec un soupir de découragement, elle
tourna le dos à sa déception et termina de boutonner sa robe. Tout à coup, des
éclats de voix attirèrent son attention. Mais que se passait-il ? Elle se
dépêcha d’enfiler ses souliers et se précipita à la cuisine. Une drôle de scène
s’offrit à elle. Assis par terre, Chapeau et Léo tenaient une conversation. Elle
raconterait souvent cette anecdote par la suite et chaque fois, ses yeux se
mouilleraient de larmes : « Je vous le jure, dirait-elle, mon Léo, sourd et
muet, parlait avec Chapeau, l’Indien à la langue coupée. Ils se parlaient et se
comprenaient. Demandez-moi pas comment, mais je vous jure que c’est vrai. Ils
parlaient pas avec des vrais mots, là, là… Ben non, mais vrai comme je suis là,
ils se comprenaient. »
Julianna les contempla un moment. Il y avait si longtemps que
Léo n’avait pas ri de bon cœur ainsi. À cet instant précis, les rides de
Julianna lui semblèrent vraiment dérisoires...
La visite chez Georges fut courte. À l’étonnement de François-Xavier, il les
reçut avec bonne humeur.
— Mon p’tit Pierre, comme te v’là grandi..., lui dit son parrain.
— Laura est pas là ?
— Ben non, à moins que je la cache dans un garde-robe.
— Elle est encore à l’école ? dit François-Xavier.
— Ta fille reste au couvent tard cette semaine. Elle aide les religieuses pour
préparer la fête du Sacré-Cœur.
Déçu de ne pouvoir serrer sa petite sœur dans ses bras, Pierre se promit de
repasser dès son retour de Tadoussac. Georges fit entrer ses visiteurs et les
dirigea vers la cuisine. Il leur servit un verre de liqueur.
— Je peux pas vous offrir plus fort, y a jamais une goutte d’alcool qui est
rentrée icitte dedans.
D’un geste du menton, il désigna la grande croix de bois noir qui était
accrochée sur un des murs.
— Ma croix de la tempérance est là pour me le rappeler.
Au centre de la table, un grand bol de peppermints trônait.
— Prends-toi des bonbons, mon Pierre. Envoye, gêne-toi pas.
François-Xavier se dit qu’il avait sous-estimé le lien unissant le parrain et
le filleul. Il est vrai que Pierre avait sauvé sa petite Hélène.
— Pis les chantiers, mon gars, pas trop dur la vie là-bas ?
Pierre leur raconta sa promotion à titre de cuisinier.
Georges se frappa les cuisses en riant.
— Un ti-coq, ti-cook !
À ce moment, François-Xavier aurait dû se douter de quelque
chose. Le rire était trop fort, le ton un peu narquois.
— Astheure que la guerre va finir, je suis ben content de revenir. Ça
commençait à être ennuyant dans le bois.
— Pauvre p’tit gars, dit Georges.
En songeant à son cousin, mort au combat, Pierre se sentit gêné. Timidement, il
offrit ses condoléances à son parrain.
— J’ai été ben, ben peiné par la mort d’Elzéar, mon oncle.
— Ouais, lui, il devait pas manquer d’action au front.
François-Xavier se racla la gorge et décida d’amener la conversation sur un
sujet moins douloureux. Sur la table était ouvert le journal du matin. Lisant
les gros titres, il commenta la nouvelle qui faisait la manchette depuis des
semaines.
— Pis, que c’est que tu penses de ça toi, qu’Ottawa nous verse des allocations
familiales ?
Devant le visage impassible de son beau-frère, François-Xavier réalisa sa
maladresse.
— J’en pense pas grand-chose si tu veux savoir. À part que c’est mon salaire
qui va servir à mettre de l’argent dans tes poches.
— Ben là, Georges…
— C’est toujours les mêmes qui trouvent les moyens de s’en sortir.
— Pis votre santé va bien ? demanda Pierre pour détendre l’atmosphère.
— Aucun problème, le jeune.
Un silence gênant plana dans la pièce. Pierre se racla la gorge et annonça le
vrai but de sa visite.
— Je suis arrêté voir Jean-Marie chez les trappistes l’autre jour…
Georges le fixa d’un air mauvais.
— Pis il m’a donné ça pour vous.
Le jeune homme déposa l’enveloppe sur la table. Son parrain ne broncha pas.
Pierre insista.
— Mononcle Georges, c’est pas chrétien de tourner le dos comme
ça à son propre fils. Jean-Marie vous aime
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