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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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marin.
    On lui avait fourni un uniforme qui, disait-on, lui seyait très bien. On lui
     aurait demandé d’enfiler une poche de patates, il n’aurait pas sourcillé. Les
     dames l’appréciaient du regard et quelques-unes se permettaient de laisser leurs
     mains gantées un peu plus longtemps qu’il ne le fallait pour s’appuyer sur une
     passerelle branlante. Une passagère lui aurait tordu le poignet qu’il n’aurait
     senti qu’une légère pression. Au départ des escales, il enroulait les cordages
     en une couronne de tresses serrées, comme onle lui avait
     appris, indifférent à savoir s’ils s’éloignaient du port de Montréal ou de celui
     de Québec. Seul le quai de Tadoussac ranimait en lui un intérêt. À cette escale,
     il cherchait frénétiquement une silhouette vêtue d’une jolie robe, une fille
     ressemblant à une fleur des champs. Il scrutait chaque mouvement du village,
     repérait la boulangerie, la maison, la plage. À l’approche du rivage,
     l’obsession de revoir Luce, ne serait-ce que l’apercevoir de loin, montait de
     ses entrailles en un bourdonnement qui le rendait sourd aux cris de joie des
     mouettes qui les accueillaient, aux sifflements du bateau qui souhaitait le
     bonjour ou le bonsoir, au bruit des moteurs qui, essoufflés de leurs courses,
     soupiraient d’aise à l’approche du repos bien mérité. Il bandait les muscles,
     accomplissant sa tâche en sens inverse, se concentrant sur ce long lien de
     chanvre huilé qui les unissait, le temps d’un débarquement, aux habitants du
     village. Mais jamais Luce ne se montra. Les membres de l’équipage étaient de
     bons vivants. Pourtant, Pierre ne se lia d’amitié avec aucun d’entre eux. Il en
     aurait été incapable. Il souriait, saluait, répondait, mais restait distant. Il
     jouait aux cartes avec eux, mais sans chercher à perdre ou à gagner. Il jetait
     des pièces de monnaie contre le cap Diamant avec eux, mais sans faire de vœux.
     Il scutait le ciel étoilé avec eux, mais sans chercher la bonne étoile. Il
     refusait toutes les invitations à se joindre à une équipe qui descendait prendre
     quelques heures de plaisir à terre. Il préférait se réfugier dans les cales, se
     hisser dans son hamac et se laisser bercer, les yeux rivés au plafond, au rythme
     du bateau qui remontait ou descendait le fleuve. Le visage de Luce, le sourire
     de Luce, le corps de Luce… dans les bras d’un autre…

    Tel le ressac sur la coque du navire, les pensées de Pierre ne cessaient de se
     fracasser sur les mêmes images : le visage de Luce, lesourire
     de Luce, le corps de Luce… dans les bras d’un autre… Pierre avait l’impression
     d’avoir des chaînes aux pieds. Il n’avait plus autant envie de pleurer qu’avant,
     mais son cœur ne parvenait plus à sourire. Pourtant, l’été avait suivi son
     cours. Accoté au bastingage, Pierre regardait l’horizon. Le bateau venait de
     quitter Québec et longeait la rive, glissant doucement, tel un cygne blanc, sous
     les regards admiratifs de quelques riverains. Le matelot scruta le fond de
     l’eau. Il devina l’ombre d’un poisson. Il n’avait qu’à passer la jambe
     par-dessus la rampe et se laisser glisser tout doucement dans l’onde grise...
     Entre deux eaux, il accueillerait, à bouche grande ouverte, la délivrance de ce
     carcan étouffant qu’était devenue sa vie. Ce n’était pas la première fois que
     l’idée d’en finir lui venait à l’esprit. Ce n’était pas vraiment une pensée
     consciente. Il n’aurait pas planifié un moment ni le meilleur moyen de s’y
     prendre. C’était plus une sorte de léthargie, une fatigue incommensurable et
     l’envie, le besoin, l’urgence, de trouver une solution pour mettre un terme à sa
     souffrance, arrêter les images douloureuses du souvenir du visage de Luce, du
     sourire de Luce, du corps de Luce… dans les bras d’un autre… Pierre fouilla dans
     le fond de la poche de sa vareuse. Il en ressortit la bague. Sans faire de
     bruit, seulement enjamber le pont et couler au fond de l’eau, seulement cesser
     de penser à elle. Plonger dans le ventre de la mer, s’y blottir dans le silence
     apaisant, revenir en arrière, au moment de l’insouciance, avant les épreuves,
     avant les cicatrices, avant la mémoire… le visage de Luce, le rire de Luce, le
     corps de Luce… dans les bras d’un autre homme. Il releva la tête et tint la
     bague à bout de bras, mirant le

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