Les porteuses d'espoir
coulisse, une matrone lui gueulait comment exercer le
métier d’effeuilleuse.
— La Sainte Nitouche ! si tu crois que tu vas attirer les hommes avec tes bras
maigres. Montre tes charmes, fais-les bouger. Les hommes aiment quand ça
bouge !
Et la grosse femme riait tandis que la timide stripteaseuse aspirante se
déhanchait maladroitement. Obéissante, la jeune campagnarde fit aller ses
épaules nues d’avant en arrière en un mouvement si provocant que Pierre cessa de
respirer un moment.
— Allez la petite, va dans le milieu, sous la lumière, cria la matrone.
La femme alla se placer au centre de la scène à côté d’une chaise. Pourquoi une
chaise ? Pour qu’elle se repose ? La femme leva une jambe et déposa son pied
chaussé de talons hauts sur le siège.Non, ça ne se pouvait pas,
ce n’était pas normal... Il jeta un coup d’œil à ses voisins. Ils affichaient
tous le même genre d’air extatique, les yeux exorbités, la main dans le
pantalon, ils se délectaient de la vision de l’entrejambe. Malgré lui, Pierre
reporta son attention à l’effeuilleuse. Il avait chaud, très chaud. En se
penchant, elle détacha un genre de crochet dont Pierre ignorait l’existence.
Lentement, en partant du haut de sa cuisse, elle roula le bas, dévoilant pouce
par pouce une peau nacrée… La main de Pierre alla imiter celles des autres
matelots.
Les gars n’attendirent pas tout à fait la fin de la séance pour se lever en
chœur et forcer Pierre à les suivre à l’extérieur. Ils ne voulaient pas perdre
de temps. Ils déambulèrent vers une rue d’un quartier aux allures délabrées.
C’était le début de septembre et la température de cette fin d’après-midi était
frisquette. Malgré cela, plusieurs filles prenaient l’air sur le trottoir, à
peine vêtues. Elles étaient outrageusement maquillées, ce qui donnait aux
sourires qu’elles offraient une allure presque repoussante. Il y en eut même une
qui l’accosta en le traitant de beau roux. Gêné, Pierre rougit et baissa les
yeux sur le bout de ses souliers. Mal à l’aise, il ne comprenait pas l’attitude
de ces pauvresses. Leur poitrine était dévoilée et s’offrait sans pudeur. On
aurait dit qu’elles vendaient deux fruits mûrs sur un étal de tissu aux couleurs
vibrantes. D’un geste sans commune mesure, un de ses compagnons alla tâter un de
ces fruits. La fille lui donna une petite tape amicale sur la main. Elle voulait
voir la couleur de l’argent du client avant... Pierre comprit lorsqu’en
ricanant, le marin sortit ses sous et les gardant à la main, suivit la vendeuse
de charmes à l’intérieur d’une maison, la main libre posée sur le postérieur de
la femme. Celle qui aimait les beaux roux revint à la charge.
— Alors, l’Irlandais, t’as un peu d’argent toé itou ? Viens
avec moé, tu t’ennuieras pas, mon joli.
Devant l’air effaré de Pierre, la prostituée ricana.
— Aie pas peur, mon beau roux, même si moé, c’est vrai que je vas te manger,
petit chaperon rouge...
Ah non ! là c’était trop, se dit Pierre en reculant devant l’offre évidente de
la femme, une femme de mauvaise vie, une putain, une fille de joie ! Se toucher
à la noirceur d’une salle de cinéma, cela passait encore, mais suivre cette...
cette... non, pas pour lui !
— Je... j’ai pas le temps, j’ai ma tante à aller voir, les gars...
Les autres rigolèrent devant son excuse, mais ils étaient bien trop occupés à
choisir leur dessert pour se soucier du départ de Pierre.
— Rendez-vous au Patro dans une heure, lui dit Francis.
— Le Patro ?
— Un bar près du port, tu nous payes la bière, tu le savais pas ?
— Pourquoi je vous paierais la bière ?
— Parce que t’es le seul qui va y rester quelque chose !
— Ouais, on verra, dit Pierre avec un petit salut.
À son retour, les gars n’avaient pas posé de question. Ils savaient bien que
Pierre était allé rendre visite à sa parenté de Montréal. Sa tante Marie-Ange
l’accueillait toujours avec de grandes effusions. Mais Pierre ne s’attardait
jamais longtemps. Sa cousine Hélène le regardait timidement, ne comprenant pas
trop, à sept ans, toute cette histoire de héros la sauvant des flammes dont on
entourait cet étranger. Pierre décida de ne pas se rendre chez sa tante et alla
flâner vers le port. Il allait beaucoup mieux
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