Les porteuses d'espoir
patron : ça fait des années que j’ai
pas fait du fromage.
— Je vais m’occuper de nous trouver une belle maison.
— T’as pas le temps, avec les enfants icitte. Je vas regarder pour louer
quelque chose de pas trop cher.
— Ah non ! cette fois-là, tu ne me tiendras pas à l’écart.
— Je veux gagner la confiance de mon patron. Je pense que c’est parce qu’Henry
m’a recommandé... Son confrère, l’avocat de Chicoutimi, c’est de la famille au
boss de la fromagerie.
Julianna hocha la tête. C’était certainement l’explication. Cher Henry, même à
Montréal, il pensait encore à eux.
— J’aime pas ben ça, en devoir une à Henry.
— Ah ! fais pas ton malcommode. Henry est notre ange gardien.
Malgré toutes ces années, François-Xavier ressentait encore de la jalousie
envers l’avocat. Le premier prétendant de sa femme, celui qui réussit tout. Il
vit à Montréal, est avocat, il a même eu le culot, à son âge, d’aller à la
guerre et de se payer le luxe de revenir en héros. Et le pire, c’est qu’il
l’aimait bien, ce damné Henry.
— François-Xavier, ça va bien aller, je suis certaine.
Le mari prit les papiers du curé dans ses mains.
— Cette école pour Léo, que c’est-t’en penses ? demanda-t-il.
— Qu’il faut qu’il y aille. Je le sais que ça t’étonne. Mais si notre garçon a
une petite chance d’avoir une vie normale, il faut qu’on la saisisse. C’est toi
qui disait que Pierre avait le droit d’avoir son propre chemin.
— C’est vrai.
— Ben c’est bon pour tous nos autres enfants aussi.
— Que c’est-tu veux dire ?
— Qu’à soir, on va régler bien des affaires, parce que je viens d’avoir une
idée qui va arranger tout le monde !
Son mari la regarda d’un air douteux.
— Oh, oh ! que j’aime donc pas ça…
Il avait bien raison de se méfier des idées de génie de sa
femme. Mais il n’avait eu d’autre choix que de se plier à ses arguments.
Quand Yvette rentra tard, ce soir-là, d’une soirée chez une amie, les enfants
étaient couchés depuis longtemps. Intriguée, elle se demanda pourquoi ses
parents l’attendaient, l’air grave.
— Viens un peu icitte, ma grande, il faut qu’on jase.
— J’ai rien fait de mal papa, se défendit Yvette. Vous le saviez que j’allais
jouer aux cartes chez mon amie Émilie…
— Mais oui, on veut pas te chicaner, on veut te parler de Montréal, dit
Julianna.
Le cœur battant, Yvette alla les rejoindre autour de la table.
— Je pense encore que c’est une idée de fou…, marmonna François-Xavier.
Sa femme le fit taire d’un regard mauvais.
— Y a bien du nouveau à soir. Ton père va faire du fromage à Chicoutimi. Ça
fait qu’on va déménager là-bas.
Yvette resta silencieuse, attendant fébrilement la suite.
— Pis le curé va faire rentrer Léo dans une institution pour sourds et muets, à
Montréal. Ton père va faire le voyage pis aller le mener à cette école.
Cette fois, Yvette ne put retenir une exclamation.
— Comme il faut que je nous trouve une nouvelle maison, je vais être bien
prise, je ne pourrai pas m’occuper des enfants, enchaîna sa mère.
« Ah non ! ils ne veulent pas pour Montréal », se désola Yvette. Elle allait
devoir garder ses petits frères.
— Ça fait que ton père et moi, bien on a décidé que Laura viendrait prendre
soin des petits pendant que toi et ton père allez être à Montréal.
Yvette prit quelques secondes pour bien saisir les paroles de sa mère.
— Je… je vais à Montréal ?
— Oui, depuis le temps que tu en rêves. Ta tante Marie-Ange est
un peu fatiguée, elle vieillit, ma chère sœur ; tu vas pouvoir lui donner un
coup de main.
Yvette battit des mains. Elle devina que la santé de sa tante avait été plus
une excuse trouvée par sa mère que la réalité.
— C’est ben certain que je vas aider matante Mae ! Oh, maman ! que je suis
contente !
François-Xavier regarda les deux femmes se sourire. La connivence entre elles
était évidente. Il aurait dû se douter qu’il se tramait quelque chose. Si
souvent, elles avaient tenu des messes basses en lui jetant des regards de
biais. François-Xavier croyait qu’il s’agissait d’histoires de mariage ou de
choses intimes que seules une mère et sa fille peuvent partager et que ce projet
de visiter Montréal était enterré puisqu’il
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