Les porteuses d'espoir
avait dit non.
Il détailla sa fille. Beaucoup de garçons du village avaient les yeux brillants
lorsqu’ils la voyaient et ils admiraient sa beauté. Gustave Deschênes était
littéralement en pâmoison devant elle. François-Xavier ne le disait pas, mais il
en était très fier. Sa deuxième fille, Laura, était menue, effacée, et ferait
certainement une bonne religieuse quand elle entrerait au couvent,
prochainement. Mais Yvette, ah ! Yvette, sa crinière blond roux, sa fougue, sa
témérité, ses idées de grandeur. Comme elle ressemblait à Julianna ! Sa fille ne
passait pas inaperçue. C’était bien cela qui l’inquiétait et qui le faisait
refuser de la laisser partir. Mais au moins, il l’aurait à l’œil. Julianna avait
raison : il fallait qu’il fasse ce voyage à Montréal.
— Laura va pouvoir quitter le couvent ? demanda Yvette.
— Ta sœur a pas prononcé ses vœux encore. Elle peut très bien venir aider sa
famille.
— Quand est-ce qu’on part, papa ?
— Dans deux jours, il faut faire vite pour l’école de Léo.
— Dans deux jours…, répéta rêveusement Yvette.
— En tout cas, t’es plus contente que ton frère Mathieu. Lui,
quand on lui a dit qu’il était du voyage, ça a pas l’air de lui avoir fait un
pli, dit son père.
— Mathieu vient avec nous autres ? demanda Yvette.
— Oui, mais il va aller se promener chez Henry. Son parrain l’invite depuis des
années. Pis on pense que ça peut lui faire du bien.
Un silence gênant suivit cette remarque. Mathieu était si étrange. Julianna
avait déjà lu, en cachette, les feuilles de musique qu’il composait. Elle avait
parcouru les pages gribouillées d’une écriture serrée avec une angoisse
grandissante. La pourriture éternelle , c’était le titre d’une de ses
œuvres. Elle n’en avait jamais parlé avec son mari. François-Xavier baissa les
yeux. Son fils Mathieu… Il s’était trouvé un travail de pompiste au garage du
village. François-Xavier était certain que le garagiste ne se désolerait pas du
départ de son employé. C’était le curé Duchaine qui lui avait un peu forcé la
main. Mathieu était différent. Il était ombrageux, tourmenté. Solitaire, il ne
se liait d’amitié avec personne.
— Puis pendant ce temps, je vais nous chercher un logement, reprit
Julianna.
— J’ai hâte de revoir Pierre, dit Yvette.
Julianna perdit un peu de sa joie. Elle venait de réaliser qu’elle ne serait
pas du voyage et qu’elle ne pourrait embrasser son fils. Elle eut un sursaut de
ressentiment et l’envie d’accompagner son mari monta en elle. Elle aurait dû
embarquer dans ce train... Retourner à Montréal, revoir sa sœur, son fils, la
maison de son enfance, revoir Henry... Ces dernières années, elle pensait de
plus en plus à l’avocat. Leur dernière rencontre remontait à dix ans. L’année du
feu... Pendant la guerre, le savoir en danger, bravant la mort, avait ravivé le
souvenir de son histoire d’amour pourtant déjà si ancienne. Quand il était dans
les tranchées d’Italie, elle lui rédigeait de longues lettres, se demandant s’il
mourrait en pensant à elle... Henry ne s’était jamais marié. Elle pouvait rêver
que celaétait à cause de son amour éperdu pour elle. Elle avait
tant imaginé sa vie différente. Elle s’était vue cantatrice, adulée, applaudie,
vénérée... belle à jamais. Mais elle avait vieilli, engraissé, ridé. Maintenant,
elle survivait dans ces journées de labeur incessant, ces ouvrages de maison, ce
mariage routinier... Tout allait changer maintenant. Leur vie prenait un nouveau
départ. Il ne manquerait, à son bonheur, que le retour de Pierre.
— Peut-être que Pierre va en avoir assez de servir de la bière puis qu’il va
rentrer avec vous autres, dit-elle.
— On sait jamais, ma femme, on sait jamais.
François-Xavier se tut. Son fils avait quitté la vie de matelot pour travailler
dans une taverne. Il était d’accord avec Julianna. Servir de l’alcool n’était
pas ce qu’il avait espéré pour son fils. Il avait bien l’intention d’aller faire
un tour à ce Patro et de ramener son fils avec lui, par les oreilles s’il
le fallait. Il valait mieux laisser ses enfants choisir leur chemin, mais quand
ils s’embourbaient, un père devait bien les sortir de la boue ! Et puis, des
tavernes, il y en avait au Saguenay
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