Les porteuses d'espoir
dit
que sa ménagère allait lui préparer des repas et lui faire un peu de ménage.
Vous savez, il m’a un peu reproché de ne pas lui en avoir fait part avant.
— Saint-Ambroise ne sera plus pareil sans vous…
— Ah ! Julianna, les esprits différents, on les craint. Vous devez savoir cela,
ajouta-t-il avec un doux sourire pour elle.
Elle baissa les yeux. C’est vrai que Julianna n’avait jamais été vraiment
acceptée dans le village. Sa musique, son piano, ses livres, ses robes, sa façon
de bien parler… tout la mettait à l’écart des autres femmes. Combien de fois
avait-elle tenu des conversations avec le curé, comme sa mère adoptive l’avait
fait précédemment, se questionnant sur les femmes, l’avenir, l’éducation et même
la politique ? Ces conversations avaient commencé après le grand feu, quand
Pierre était allé vivre quelques mois au presbytère. Ils avaient discuté des
épreuves de la vie et de la difficultéà comprendre que Dieu ait
laissé se produire un tel drame. Après la mort de son petit Barthélémy, c’est à
lui qu’elle avait confié la colère qu’elle ressentait envers son mari. Julianna
se dit que si ce n’eût été des sages propos du curé Duchaine, elle et son mari
ne se seraient jamais réconciliés. Ils avaient également discuté de
l’empêchement de la famille, de sa peur de mourir en couches comme sa propre
mère. Le curé Duchaine ne l’avait pas menacée d’excommunication ; il avait
simplement répondu, après un silence d’hésitation :
— Je crois, Julianna, que Dieu a un immense respect pour les mères. Il apprécie
déjà votre grande et nombreuse famille.
Les larmes aux yeux, Julianna se dit que vraiment, cet homme allait lui
manquer. Elle cacha son désarroi en préparant du café. Elle savait que le curé
Duchaine aimerait en prendre une tasse.
— Je voulais absolument, avant de partir, faire une dernière chose. Je ne vous
en ai pas parlé avant, pour ne pas vous donner de faux espoirs, mais… Léo a quel
âge maintenant ?
— Léo ? Bien, il vient d’avoir treize ans, pourquoi ? s’étonna Julianna.
— J’aimerais que Léo aille à l’école.
— Léo peut pas aller à l’école, voyons monsieur le curé, il est sourd !
s’exclama François-Xavier.
Le garçon s’agita sur sa chaise. Il sentait les yeux se poser sur lui. Il
comprenait qu’il était devenu le sujet de conversation des adultes.
— Dérange-nous pas, mon grand, dit Julianna.
Elle alla chercher un bout de bois et un petit couteau à la lame ronde.
— Tiens, amuse-toi à la place.
À contrecœur, Léo se mit à passer le temps à essayer de sculpter un oiseau dans
le morceau de bouleau. Le couteau était si émoussé qu’il ne parvenait qu’à
égratigner l’écorce.
Le curé expliqua :
— L’école dont je parle est juste pour les enfants pas
normaux.
— Y est pas question que mon petit gars soit placé avec des fous, s’exclama
Julianna en déposant une tasse de café devant son invité.
— C’est pas ça que je dis.
— Excusez-moi monsieur le curé, mais Léo, il comprend bien plus que vous le
pensez ! Il a autant de génie que les autres, même plus !
— Justement, je sais combien ce petit gars est intelligent pis vaillant. Il
faut qu’il reçoive de l’instruction.
— Mais comment ce serait possible ?
— C’est une école conçue pour des enfants sourds. Ce sont les clercs de
Saint-Viateur qui sont en charge de l’institution. Léo va apprendre à lire, à
écrire, à parler par signes, à lire sur les lèvres et surtout, on va lui montrer
un métier. Probablement celui de cordonnier. Les religieux ont un atelier qui
sert juste à ça. Oh ! c’est à Montréal.
— À Montréal ? répéta Julianna. Je ne peux pas l’envoyer là-bas, Marie-Ange en
a assez sur les bras. Ma grande sœur est souffrante. Depuis que la petite Hélène
a eu la polio en 1946, non… assez d’épreuves de même. Léo est notre fils, on va
en prendre soin.
Le visage fermé, Julianna s’assit, les bras croisés.
— Ils ont un pensionnat, reprit le curé. Les enfants couchent là. Il faut qu’il
apprenne à se débrouiller dans la vie, insista-t-il devant le manque
d’enthousiasme de Julianna.
François-Xavier ne voyait pas plus que sa femme ce projet d’un bon œil.
— Je suis son père, je vas m’en occuper, décréta
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