Les porteuses d'espoir
avec
la face d’enterrement de son jeune frère. Elle n’allait pas gâcher la plus belle
journée de sa vie. Elle ne voulait rien rater, elle voulait tout voir, tout
sentir, tout savourer. Enfin, elle était à Montréal. Elle trépignait
d’impatience. Elle ne ressentait ni la fatigue ni la faim. Elle huma l’air et
aima l’odeur âcre de la locomotive. Elle tourna un peu sur elle-même et jeta un
regard circulaire sur la gare. Elle adorait ce brouhaha, ces gens pressés, ces
femmes bien habillées, ces hommes à l’air important. Elle était loin de sa
campagne... Un court instant, la honte de ses vêtements un peu démodés vint
ternir sa joie, mais le regard admirateur d’un voyageur appréciant sa
silhouette, tout en s’allumant une cigarette, dissipa rapidement sa gêne. Elle
se promit qu’un jour, elle porterait les atours les plus somptueux.
Pierre klaxonna et pesta contre la circulation de Montréal. Il
était en retard. Comment se faisait-il que tant de personnes décidaient, en même
temps, d’être au même endroit ? Conduire sa voiture sans l’égratigner tenait du
prodige. Il devait avoir des yeux tout le tour de la tête. Les piétons
traversaient n’importe où, les bicyclettes le dépassaient sans qu’il ait eu la
chance de les voir venir. Un camion reculait et bloquait la route. Tout cela,
sans compter les trous dans la chaussée qui risquaient de provoquer une
crevaison à tous les coins de rue. Pierre n’aimait pas beaucoup Montréal. À la
pensée de sa famille qui devait l’attendre à la gare, le souvenir de
Saint-Ambroise remonta en force à sa mémoire. Il aurait été doux de conduire sur
les routes de sa campagne, filant à grande vitesse sans… sans un damné gamin qui
courait derrière un chien !
— Attention ! cria Pierre en espérant désespérément éviter l’enfant.
Dans un crissement de freins, il alla aboutir sur le trottoir, s’écrasant
contre un panneau de signalisation.
Mais qu’est-ce qu’il faisait ici ? se désolait François-Xavier. Pourquoi avoir
cédé à Julianna et avoir fait ce voyage ? Pour Léo, oui, mais c’est Julianna qui
aurait dû le faire, ce voyage. Il avait oublié à quel point il détestait le
simple fait de se retrouver dans cette ville maudite. François-Xavier
soupira.
— Mettons nos bagages par terre dans ce coin pis attendons.
Pourquoi sa vie lui échappait-elle ainsi ? Était-il né sous une mauvaise
étoile ? Dans ces moments de désarroi, il se remémorait le drame de son
beau-frère Ti-Georges. Immanquablement, il en arrivait à la conclusion qu’il
était mieux de ne pas trop se plaindre.Presque tous ses enfants
étaient encore de ce monde. Il prit Léo par la main et le fit asseoir sur une
valise. Il s’adressa à Mathieu.
— Tu sais, mon grand, si tu préfères coucher chez ta tante Marie-Ange, je suis
ben certain qu’on peut s’arranger.
Le jeune homme refusa.
— Non, ça fait mon affaire d’aller chez mon parrain.
— Bon, si t’es certain.
— Yvette tu t’éloignes pas, je t’ai dit !
— Papa, je suis plus une enfant !
— Assis-toi donc un peu. Ton frère nous a toujours ben pas oubliés…
En silence, ils attendirent. La gare se vida petit à petit des derniers
voyageurs. Nulle trace de Pierre. Puis, le brouhaha reprit en sens inverse.
D’autres passagers arrivaient pour prendre un train.
— All aboard, all aboard ! cria un homme en uniforme.
Un autre employé de la gare, qui les avait remarqués, vint leur demander si
tout allait bien.
— Everything’s o.k., Mister ? Can I help you ?
Découragé, François-Xavier releva la tête. Se mettant debout, il réveilla Léo
qui s’était assoupi, la tête sur son épaule. À la vue de l’homme, son jeune fils
se mit à hurler. François-Xavier essaya de le calmer.
— C’est pas de sa faute, voulut expliquer François-Xavier.
Mais l’employé ferroviaire s’en retournait, une expression choquée sur le
visage.
— C’est pas de sa faute, répéta à voix basse François-Xavier. Il a jamais vu un
nègre avant…
Exaspéré, il songea à rembarquer tout son monde dans un train et repartir à
Saint-Ambroise. Il y avait déjà tant de nuits qu’il dormait mal, pensant à son
nouveau travail qui l’attendait, à Léo et cette école spéciale, Yvette à
Montréal, Julianna qui cherchait unappartement et semblait voir
ce
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