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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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manquaient pas de travail ; ils partaient chaque matin chercher dans la montagne de l’osier sauvage baptisé « roseau » ; devenu patron d’une équipe de six ouvriers, Bonnier écoulait une partie de sa production à Palma.
    En novembre, une tempête jeta sur nos côtes une cargaison d’environ quatre quintaux de coton brut. Nous nous hâtâmes de recueillir cette manne providentielle en la crochetant à nos risques et périls. À l’aide d’une roue imaginée et fabriquée par Wagré, nous avons pu confectionner quelques articles vestimentaires précieux pour lutter contre la froidure. Nous assistâmes au spectacle plaisant de soldats et de femmes occupés à tourner le fuseau et à manier l’aiguille.
    Un caporal de la cavalerie polonaise, maréchal-ferrant dans le civil, installa une forge. Il avait obtenu du capitaine du navire anglais une enclume et quelques outils, et avec des débris de ferraille il avait forgé des haches, des pelles, des bêches et un fer à cheval qu’il avait cloué sur la porte de son atelier, « pour me porter bonheur », nous expliqua-t-il… Avec des peaux de mouton, il s’était fabriqué un soufflet.
    Il serait fastidieux de m’attarder sur d’autres petits métiers surgis ex nihilo de l’ingéniosité de nos hommes. Pourtant, qu’il me soit permis de signaler les plats et assiettes faits de fonds de shako, les couteaux fabriqués avec des cercles de barrique, les vieilles faïences rafistolées avec des agrafes de fer, les semelles taillées dans des morceaux de cuir…
    Je m’amusais de voir Édith occuper son temps à sculpter au couteau, dans du bois de sabine, une variété de genévrier qui abonde dans l’île, une figurine de madone. Stimulée par mes encouragements, elle réalisa quelques autres statuettes à caractère religieux, avant de s’attaquer à des tabatières gravées et à des fourneaux de pipe qu’elle parvint à vendre à des marins, lesquels les revendaient à des négociants palmesans.
     
    Cabrera reçut un jour d’hiver la visite d’officiers de la marine britannique en grande tenue, escortant une cargaison de vêtements offerts par la duchesse Adélaïde d’Orléans, sœur du futur roi Louis-Philippe, émigrée en Angleterre. Que cette grande dame, en buvant son thé, ait eu l’idée de secourir des soldats de l’Empire avait de quoi nous émouvoir. Hommes et femmes plongeaient à pleines mains dans ce fatras, caressant les belles étoffes et humant des fragrances venues d’un autre monde.
    Nos compagnes nous donnèrent, en se promenant costumées en bourgeoises et en marquises dans les allées du Palais-Royal, un spectacle cocasse. Je vis madame Daniel, affublée d’une robe à crinoline, faisant mine de se laisser conter fleurette par Gille, vêtu en bourgeois du temps de la Révolution.
    Les officiers et matelots chargés de ces présents furent assaillis par des marchands de babioles, « souvenirs de Cabrera », et les payèrent en bons shillings facilement convertibles auprès de nos usuriers.
    — À Palma, nous dit le commissaire Desbrull, on commence à comprendre que vous n’êtes pas des sauvages et qu’il serait bon de reconsidérer vos conditions de vie. J’ai vu, sur le bureau d’un membre de la junte, la statuette d’une madone fabriquée par un des vôtres…
     
    Au début de l’année 1811, Gille nous revint, bouleversé, d’une réunion du Conseil. Il avait sur les joues des traces de larmes que le vent avait séchées. Hors d’haleine, il se laissa tomber sur la murette en bredouillant :
    — Mes amis… mes chers amis… je viens d’apprendre une triste nouvelle. Je vais devoir vous quitter d’ici trois jours, pour être transféré avec quelques autres prisonniers à Minorque. Pourquoi ? On n’a pas daigné nous en informer.
    Il se releva en titubant et tomba dans nos bras avec des sanglots. Émus nous-mêmes, nous tentâmes de le rassurer. Il ne perdrait rien au change : à Fort-Mahon, disait-on, les prisonniers étaient mieux traités.
    — Peu m’importe ! Je m’étais habitué à votre présence, à cette amitié sans nuages qui nous a unis, à ton affection, ma chère Édith. Sans toi… sans vous… que vais-je devenir ?
    Édith, ayant tenté de lui glisser à l’oreille quelques mots qui lui restèrent dans la gorge, se détourna de nous pour se porter au bord de la

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