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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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l’artillerie. Les décisions s’adapteraient ensuite aux actions et aux réactions ennemies. Il avait été prévu que le général Toutchkov, à la gauche de l’armée, contournerait l’aile droite ennemie pour l’attaquer de flanc et à revers, mais cela s’avéra irréalisable. En effet, le flanc gauche russe ayant reçu des renforts et étant défendu par les Trois Flèches, Napoléon en déduisit qu’il constituait le point faible du dispositif russe puisqu’on avait mis tant de soin à le renforcer. Ce fut donc celui qu’il décida de tenter d’enfoncer. Dans un premier temps, le prince Eugène attaquerait la droite russe, mais ce ne serait qu’une diversion. Il se « contenterait » de prendre le village de Borodino, de contenir les Russes et d’investir la Grande Redoute. Ney, Junot et Murat attaqueraient le centre et Davout et Poniatowski le flanc gauche. Quand l’aile droite française aurait enfoncé la gauche ennemie, elle se rabattrait sur le centre et balaierait tout sur son passage. Tels étaient les plans des deux camps. Rien ne se passa comme prévu.
    *
*   *
    Durant la nuit précédant la bataille, les soldats discutaient ou s’enivraient. Du côté français, des troupes se déplaçaient en tous sens dans un grondement sourd pour prendre position. Des retardataires arrivaient continuellement et se lançaient à la recherche de leur régiment.
    Le 84 e occupait déjà l’endroit qu’on lui avait destiné et profitait de ce répit nocturne. Margont rendait visite aux hommes de sa compagnie, s’asseyant auprès des feux de camp. Malgré le carnage à venir, le moral restait élevé. On allait enfin affronter l’armée russe ! Fini de marcher jusqu’à l’épuisement, de patauger dans la boue, d’avoir faim à en devenir fou... On avait foi dans le génie de Napoléon et nul ne doutait que les Russes seraient anéantis. Margont s’assurait que tout allait bien, donnait des consignes, rassurait... Ses hommes l’appréciaient et lui faisaient toujours une place avec plaisir.
    — Mon capitaine, qu’est-ce qui court plus vite qu’un cheval au galop ? lui demanda un vieux caporal dont l’oeil droit surveillait en permanence le gauche depuis qu’une balle lui avait déformé l’orbite.
    — Pas la moindre idée.
    — Un Prussien après la bataille d’Iéna !
    Des rires fusèrent. Margont, lui, se contenta de sourire. Quand les soldats se racontaient ce genre de bêtises, l’humeur était au beau fixe.
    — Sauf vot’respect, mon capitaine, d’où qu’elle vient la balafre de vot’joue ? interrogea un soldat auquel il restait tout juste assez de dents pour pouvoir déchirer ses cartouches afin d’en verser la poudre dans le canon de son fusil.
    À trois incisives et une canine près, on l’aurait réformé. Margont effleura machinalement sa cicatrice. Il n’aimait pas en parler.
    — Eh bien, disons que tous ceux qui ont fait la campagne d’Espagne en ont rapporté un petit souvenir...
    Un cuirassier apparut dans la clarté du foyer. Les reflets des flammes dansaient sur sa cuirasse et son casque.
    — Vous savez où se trouve le 5 e régiment de cuirassiers ?
    — Oui.
    — Facile.
    — Sûr que c’est bien simple.
    Et tous les fantassins, pointant leur index dans des directions différentes, s’exclamèrent en éclatant de rire :
    — C’est par là !
    Le cavalier voulut partir, mais Margont retint sa monture par la bride.
    — Où est ta capote ? Dans l’une de tes sacoches ? Roule-la en boudin et place-la en travers de ta selle, devant tes parties intimes. Parce que demain, quand tu chargeras, les Russes te cribleront de balles. Ta cuirasse et ton casque te protégeront bien le corps, mais pas à ce niveau-là. La capote roulée t’évitera d’être châtré. Que dirait ta belle poule si, ayant laissé partir son jeune coq à la guerre, elle voyait revenir un hideux chapon obèse ?
    Le cuirassier s’éloigna sans répondre. Margont se leva, s’excusa et s’en alla vers le foyer suivant malgré les invitations à rester « encore un peu ». Là, des soldats écoutaient le lieutenant en second Galouche lire des passages de la Bible. Margont se souvint des prières à Saint-Guilhem-le-Désert. Il joignit les mains et entrecroisa les doigts, comme autrefois. Il demanda silencieusement au Ciel que cette bataille soit la moins meurtrière possible, que les Russes soient vaincus et que la guerre se termine. Et si le Tsar capitulait,

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