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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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sanglant.
    — Serrez les rangs ! Serrez les rangs ! criaient les officiers.
    Alors les soldats se rapprochaient pour colmater les trouées. Mais d’autres obus éclataient, d’autres boulets les frappaient en pleine poitrine ou leur emportaient les membres et on entendait à nouveau : « Serrez les rangs ! Serrez les rangs ! »
    Lefine avait suivi Margont. À un sergent-major mécontent de le voir abandonner le 84 e pour la journée, il avait déclaré : « Tant qu’à mourir, autant mourir entre amis. »
    — À ce rythme-là, bientôt, il n’y aura plus de rangs, bougonna-t-il.
    — Bah, on criera : « Serrez ! », répliqua Margont.
    — Pourquoi sommes-nous si peu nombreux à monter à l’assaut de cette redoute ? Quel est le crétin qui a donné cet ordre ?
    — Serrez les rangs, sergent.
    — Oui, eh bien, les autres régiments de la division, eux aussi ils pourraient serrer les rangs avec nous ! Je déteste l’armée et ce n’est que justice, car, visiblement, elle aussi me déteste !
    Margont regardait droit devant lui et ne pensait qu’à faire se resserrer ses rangs. Galouche récitait un passage de la Bible. « Il y eut une guerre dans le ciel. Michel et ses anges combattirent le dragon. Le dragon les combattit, lui et ses anges, mais il ne fut pas le plus fort, et il ne trouva plus de place pour eux dans le ciel. Il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, appelé le diable et Satan, celui qui séduit toute la terre habitée ; il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui. » L’Apocalypse. Un choix qui s’imposait. Les boulets pleuvaient de plus en plus dru, tombant, tuant, ricochant sur l’herbe, retombant, tuant à nouveau... Enfin, on fut assez proche et la ligne s’élança au pas de charge en criant. La mitraille balayait des rangs entiers dans un fracas assourdissant. Les fantassins suivants bondissaient prestement par-dessus les cadavres et les blessés et les remplaçaient. La frénésie s’empara des assaillants. La peur, le désir de vengeance, la haine, l’envie de gloire, l’obsession du combat pour ne pas penser à tous ceux qui mouraient autour de soi : tout cela se mêlait en une euphorie enthousiaste, exaltée, enragée. Les Russes positionnés aux abords de la redoute avaient été refoulés ou exterminés. Désorienté par la fumée qui entourait le retranchement – véritable brouillard chaud à l’odeur de poudre brûlée –, Margont chuta dans un fossé. Il voulut se relever, mais d’autres soldats dégringolèrent sur lui en hurlant de peur. Il se débattit et se releva précipitamment pour ne pas périr étouffé sous un linceul humain. Il suffoquait et n’y voyait guère. Des lueurs crépitèrent : on se fusillait à l’intérieur même du fossé. Des Russes, terrorisés, s’étaient cachés là et faisaient feu sur tout ce qui bougeait, tuant autant des leurs que des autres. Ils furent rapidement massacrés, on se fit la courte échelle pour ressortir de ce qu’un grenadier du 30 e appela fort justement un « piège à couillons » et on repartit à l’assaut. Les Français investissaient la Grande Redoute par les brèches ménagées pour les canons ou par celles causées par les tirs d’artillerie français. D’autres fantassins s’agrippaient à la terre du remblai, y plongeaient leurs pieds et grimpaient tant bien que mal avant de fusiller les Russes depuis le sommet ou de se jeter sur eux. Certains artilleurs ne se défendaient même pas, préférant recharger leur pièce et faire feu pour hacher à la mitraille des dizaines de Français. Les canons se turent, les fusillades s’éteignirent progressivement. Lorsque Margont pénétra dans le bastion, il vit Saber qui caressait un canon comme il l’aurait fait du museau d’un cheval.
    — Tu vois, c’était facile. Je te l’avais dit !
    À cet instant précis, la Grande Redoute et les Trois Flèches avaient été prises. La ligne ennemie était grandement fragilisée. Ney et Murat demandèrent des renforts pour tenter de percer l’armée russe. Napoléon leur en envoya peu. Il voulait conserver sa Garde. La faire attaquer à ce moment-là, permettrait probablement de remporter la victoire, mais au prix de très lourdes pertes.
    Or la situation n’était pas encore claire. De plus, il craignait une seconde bataille le lendemain ou les jours suivants. Napoléon voulait donc vaincre sans sa Garde... si possible. Koutouzov,

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