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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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son agitation était stérile. Il parlait en gesticulant avant de s’en aller au beau milieu d’une phrase, il ramassait un shako et le tendait à son propriétaire qui s’en moquait éperdument... Lorsqu’il aperçut Margont, il se précipita vers lui, joyeux comme pas deux.
    — Mon capitaine préféré ! Venez, j’ai du nouveau !
    — Tu es sûr que tu vas...
    — J’ai pu discuter avec des amis du colonel Pirgnon et de notre colonel italien. J’étais en train de parler avec l’un d’eux lorsqu’il a...
    Lefïne s’arrêta net. Son euphorie venait de disparaître.
    — Je ne savais pas qu’on était exposés... Les boulets russes se sont mis à pleuvoir tout d’un coup. Il me parlait...
    Margont lui posa la main sur l’épaule.
    — Fernand, tu devrais te reposer. Nous parlerons demain ou un autre jour.
    Son ami était perplexe.
    — Non. Il vaut mieux faire quelque chose plutôt que de rester tout seul dans son coin à penser. Sinon, je me retrouve toujours là-bas, à discuter avec ce lieutenant des cuirassiers...
    — Alors allons-y ! s’exclama Margont en entraînant son ami loin de ce lieu qui exerçait une influence néfaste sur lui.
    — On est encore loin de Moscou, mon capitaine ?
    — Un peu plus de quatre cents kilomètres.
    — Quatre cents ? Cochon de pays ! Et si on rentrait se baigner dans le Gardon ?
    Margont prit un ton de conspirateur en jetant des coups d’oeil autour de lui.
    — Parle moins fort, certains officiers font fusiller les déserteurs par dizaines.
    — Si Jean-Quenin ramenait quelques crânes tout abîmés, le front fendu par un coup de sabre, troué par un boulet ou tous les os cassés par la mitraille, et s’il les exposait au musée d’anatomie de l’école de médecine de Montpellier, peut-être qu’on y réfléchirait à deux fois avant d’aller tous se titiller les baïonnettes...
    — Penses-tu. Le monde s’empresserait de continuer à augmenter la collection.
    Margont cherchait comment changer les idées de son ami que le choc émotionnel semblait avoir transformé. C’était comme si ce vent du boulet l’avait fait retomber en enfance. En effet, Lefine s’amusait d’un rien, faillit se faire mordre en voulant caresser un chien errant et ses propos naïfs contrastaient avec son habituel pragmatisme de vieux singe débrouillard. Ils s’installèrent dans une maison qui avait eu la chance d’échapper à l’incendie. Sa bonne fortune n’était cependant pas allée jusqu’à la protéger du pillage. Ils relevèrent des chaises et s’assirent au milieu d’un capharnaüm de vêtements et de vaisselle brisée. Un sac de farine avait été découvert. Une dispute s’en était suivie et le sac avait été déchiré. La farine éparpillée sur le sol témoignait de la stupidité humaine. On s’était battu et des gouttes de sang maculaient l’enchevêtrement de traces de pas. Les vainqueurs avaient ensuite tenté de ramasser cette poudre précieuse. Au vu de tout ce qui restait sur le plancher, les deux partis auraient chacun été mieux servis s’ils avaient partagé équitablement le sac lorsqu’il était encore intact.
    — En Russie, des traces de farine, c’est comme des taches de sang : ça signe la mort de quelqu’un, déclara Lefine.
    — Mais non ! On ne va plus crever de faim, on va trouver assez de ravitaillement ici, mentit Margont. Au sujet de notre enquête, j’ai longuement réfléchi au meurtre d’Elisa Lasquenet. C’est tout de même très étrange, une langue coupée et glissée dans la poche d’un manteau.
    — Et donc ?
    — Tu te souviens de l’anagramme « Acosavan », « Casanova » ? Eh bien, la mutilation de cette actrice semble dire : « Elle aurait mieux fait de garder sa langue dans sa poche au lieu de me provoquer en se la passant sur les lèvres. »
    Margont se tut pour permettre à Lefine d’exprimer son opinion, mais celui-ci demeura inerte.
    — Si j’ai raison, alors il y a bien un lien entre ces deux crimes. Il est difficile à définir : c’est une sorte de signature sous la forme d’un jeu de mots cruel et codé qui doit beaucoup amuser l’assassin. Une moquerie cinglante et humiliante qui ressemble à une blessure supplémentaire. Je reconnais que c’est une spéculation osée, mais elle me paraît autrement plus crédible que les « aveux » de ce pauvre aliéné. Il y a également un autre point commun : ce mélange de l’amour et de la mort. Dans les

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