Les proies de l'officier
bien moi je suis convaincu du contraire. La victime a été criblée de coups de couteau. On m’a raconté que la Polonaise avait été traitée de la même façon. Pour moi, tant de cruauté est la marque de celui que nous cherchons. Mais vous verrez cela par vous-même.
Le groupe s’arrêta devant une grande demeure dont la façade pastel avait été noircie par la suie. Un grenadier de la Garde royale qui en gardait l’entrée se figea au garde-à-vous. Seuls Dalero et Margont pénétrèrent dans la maison.
— Comment a-t-elle rencontré son meurtrier ?
— À la tombée de la nuit, elle s’en est allée à la « chasse à l’amant » – ce sont les termes des domestiques. Pour éviter d’être agressée par quelqu’un qu’elle n’aurait pas choisi, elle s’est fait escorter par Yvan, une espèce de moujik géant.
— Mais pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ? Je dois absolument le rencontrer.
— Il est là.
Dalero indiquait une minuscule chambre installée sous les escaliers. « Niche » aurait été un terme plus approprié. Un homme à la barbe hirsute gisait sur une paillasse qui occupait tout l’espace. Il était si grand que ses mollets dépassaient de sa couche. Sa tunique crème était ensanglantée. Il était mort.
— Yvan vouait une fidélité sans bornes à la comtesse. Il lui servait de garde du corps, empêchant le harcèlement de sa maîtresse par les hommes qu’elle avait jetés hors de son lit, et d’« amant de secours » en cas de « période creuse ». Il logeait sous les marches afin d’être réveillé par quiconque montait ou descendait.
Margont entra dans le cagibi. Il examina le manteau posé par terre et trouva un pistolet et un couteau de chasse dans l’une des poches. Dalero contemplait le cadavre avec dégoût. Il le considérait comme il aurait considéré une bête hideuse tuée à la chasse.
— La comtesse est donc sortie cette nuit avec Yvan. Elle a dû errer avant de rencontrer un homme à sa convenance. Tous les trois sont revenus ici. Le domestique qui les a vus rentrer a dit qu’il était environ une heure du matin. L’« heureux élu » tenait à garder l’anonymat, car il portait un manteau muni d’une capuche qu’il a gardée rabattue, même en montant l’escalier.
— Donc il savait déjà qu’il la tuerait.
— Le domestique n’a pas vu le visage de cet homme. Tout ce qu’il peut en dire, c’est qu’il était plutôt grand.
— Ses bottes ? Ses mains ? Sa tenue ? Il n’a rien remarqué ?
— Non. La comtesse parlait et riait. Lui ne disait rien. Quand la comtesse gagnait l’étage avec quelqu’un, aucun domestique n’avait le droit de monter. Yvan dormait dans sa niche et malheur à celui qui le réveillait !
— Pauvre homme. Il était jaloux.
Le front de Dalero se couvrit de rides.
— Jaloux d’une telle femme ? Enfin... La comtesse chassait souvent ses amants au bout d’une heure. Une vieille habitude héritée de l’époque où son mari rentrait tardivement de ses parties de cartes. L’homme redescendait alors l’escalier, ce qui réveillait Yvan qui lui ouvrait la porte. Ensuite, la comtesse ordonnait à Yvan de changer ses draps salis...
— Yvan attendait le départ de l’« invité », puisqu’il était habillé, fît remarquer Margont. Pas de traces de lutte. L’assassin a plongé par surprise la lame de son couteau dans le coeur d’Yvan.
— Exactement comme pour la sentinelle.
Margont monta rapidement les marches. Lorsqu’il aperçut le cadavre de la victime, son visage déformé par la douleur et son corps lacéré de toutes parts, il revit Maria Dorlovna dans son cercueil. C’était le même assassin. Il y avait deux nouvelles victimes et une partie de ses théories venait de s’effondrer.
Le corps nu de la comtesse était étendu sur le lit, au coeur d’une immense tache sanglante. Les blessures lui semblèrent plus nombreuses et plus horribles encore que sur la première victime. Une partie des muscles de l’avant-bras avait même été découpée, mettant les os à nu. Pour étouffer les cris, l’assassin avait procédé de la même façon qu’avec Maria : la housse de l’oreiller était mordue, déchirée et imbibée de salive et de sang. D’autres éléments n’avaient aucun sens en apparence. L’assassin avait cassé des oeufs crus au-dessus des seins lacérés de sa victime. Il avait empilé des noix sur son sexe et étalé de la confiture
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