Les Rapines Du Duc De Guise
des
lieutenants de la milice. Le peuple gronde. Selon M. Poulain – et je suis
d’accord avec lui – il suffirait d’un rien pour déclencher une insurrection. Si
une troupe de soldats se présente chez M. Salvancy et s’il ne se laisse
pas faire – sa maison est une forteresse –, il y aura émeute et nul ne sait ce
qui se passera ensuite.
O ne répondit pas à l’argument. Il en voyait
parfaitement la pertinence. Il serra les poings jusqu’à se faire mal. Son roi
était devenu si faible qu’il ne pouvait même plus imposer sa volonté !
— Mais tout n’est pas perdu, Cap de Diou !
MM. Poulain et Hauteville ont dans l’idée de reprendre eux-mêmes l’argent
volé à Sa Majesté !
— Comment ça ? demanda O avec
surprise, persuadé qu’il était que Guise s’était déjà tout approprié.
— Sandioux ! M. le marquis m’excusera
si je n’ai pas tout compris, mais ce fripon de M. Salvancy posséderait
certains papiers qui, rendus au roi, lui permettraient de récupérer les tailles
qu’on lui a rapinées !
— Des lettres de crédit ? Des
quittances de banquier ?
— Oui, c’est cela, monsieur le marquis.
François d’O hocha la tête, montrant qu’il connaissait
le procédé.
— Et ça représenterait combien ? demanda-t-il.
— Ça, je ne sais pas, monsieur le marquis.
Ce devait pourtant être une coquette somme, se
dit O, pour qu’ils soient prêts à prendre le risque de s’attaquer ainsi à la
Ligue.
— Comment comptent-ils agir ?
À grand renfort de Panfardious ! de
Sandioux ! et de Cap de Bious ! le Gascon expliqua le plan des deux
hommes avant de conclure :
— … Comme M. Poulain ne pouvait
participer à ce coup de main, car M. Salvancy le connaît, il n’y aurait eu
que M. Hauteville et moi. On aurait été un peu juste, d’autant que le
Salvancy a des gardes ! Alors, M. Poulain a pensé à vous. Peut-être
pourriez-vous nous donner quelques hommes de confiance pour monter cette
entreprise… Ou venir vous-même…
O hocha de la tête. Il comprenait mieux
maintenant la venue de Cubsac, Poulain et Hauteville avaient sans doute élaboré
une action audacieuse contre Salvancy, mais ils ne pouvaient la mener à bien. Il
était naturel qu’ils aient fait appel à lui. Et ce qui tombait bien, c’est qu’il
avait très envie d’y participer ! D’abord pour châtier ce larron, mais
surtout pour reprendre l’argent, si c’était vraiment possible. Quelques
centaines de milliers de livres pourraient bien faire la différence dans la
guerre qui se préparait. Seulement, il ne pouvait s’absenter pour l’instant. Le
matin même, il avait appris que le duc d’Elbeuf marchait sur Caen avec ses
trois cents lances. Tant qu’il menaçait la ville et le château, il ne pouvait s’éloigner.
C’est ce qu’il expliqua à Cubsac en lui
précisant que, puisqu’il était là, il le garderait à son service, car il
pourrait bien y avoir escarmouche, ou même bataille, dans les jours à venir.
Le lendemain, justement, un héraut d’armes se
présenta aux échevins de la ville. Le duc d’Elbeuf leur demandait l’entrée dans
la cité avec sa troupe. Après avoir consulté leur gouverneur, les échevins, craignant
d’être désagréables au roi, le supplièrent de ne pas le faire. Leur réponse
était fort cérémonieuse et révérencieuse, mais elle était tout aussi ferme et
négative ! Ils n’ouvriraient pas les portes de leur ville à la compagnie
du duc.
Cependant, pour éviter de se faire d’Elbeuf un
ennemi mortel, François d’O l’invita à dîner pour le lendemain, le 6 avril. L’invitation
précisait toutefois que le duc ne devrait pas être accompagné de plus de
quarante hommes d’armes, lesquels seraient logés dans les hôtelleries de la
ville.
Le duc accepta et entra dans Caen par la porte
des Champs du château, ce qui permettait au marquis d’O de contrôler ses
soldats. Le dîner se déroula avec beaucoup de faste afin de montrer à Elbeuf à
quel point le gouverneur était honoré de sa visite. Pourtant, et en toute
amitié, O lui expliqua qu’étant déjà un fidèle du duc de Guise, il n’avait pas
à lui remettre les clefs de la ville, ou à accepter une garnison militaire. Le
lui demander aurait été un manque de confiance injurieux à son égard.
Malgré un premier échange assez vif, Elbeuf
dut se contenter de cette réponse. Il n’avait pas les moyens d’imposer sa
volonté par la force, ayant
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