Les Rapines Du Duc De Guise
galoche, une barbe clairsemée et des mains aux ongles noirs de crasse. Il
sortit d’un portefeuille quelques feuillets et posa des lunettes en verre de
Venise sur son nez.
— J’ai lu votre procès-verbal sur les
constatations matérielles des trois crimes, monsieur Louchart, fit-il d’un ton
égal. Jean, faites prêter serment à ce jeune homme.
L’homme à l’écritoire présenta une bible et un
crucifix à Olivier.
— Êtes-vous bon chrétien, monsieur ?
— Oui, monsieur.
— Jurez sur les Saints Évangiles et sur
la croix de notre seigneur que vous direz la complète vérité.
— Je le jure.
Le greffier revint à sa chaise, s’assit et
sortit une feuille ainsi qu’une mine de plomb tandis que le procureur
commençait à interroger Olivier. Il parut étonné de savoir qu’il préparait une
thèse à la Sorbonne. Apparemment, Louchart n’en avait dit mot dans son
procès-verbal. Puis ce furent des questions sur ses relations avec son père et
sa gouvernante, et enfin sur son emploi du temps de la veille.
Olivier n’avait aucun témoin dont il se
rappelait pour assurer qu’il était bien allé voir le recteur de la Sorbonne. Il
avait attendu à son rendez-vous sans croiser de connaissance, puis il s’était
rendu chez le père Boucher et avait tiré le cordon de sa porte mais personne n’était
venu, répéta-t-il.
Brusquement, l’incident du Petit pont lui
revint et il le relata.
Le procureur venait justement d’apprendre l’affaire
dont il ne connaissait que quelques bribes. Les gardes du roi arrivés sur les
lieux n’avaient pu interroger que des témoins indirects, les participants aux
crimes s’étant tous enfuis. Il fut donc très intéressé par le récit détaillé d’Olivier
et lui posa plusieurs questions auxquelles le jeune homme répondit avec
précision.
Louchart parut contrarié par ce témoignage.
— Il est certain, fit le procureur, que s’il
se confirmait que vous étiez au Petit pont à ce moment-là, vous ne pouviez pas
être chez vous à massacrer votre famille. C’est un fait qui demande à être
vérifié.
Un soupçon d’inquiétude traversa le visage de
Louchart.
— Cela ne veut rien dire, monsieur le
procureur, intervint-il, il peut très bien avoir tué son père et sa gouvernante,
puis s’être rendu au Petit pont.
— C’est possible, en effet, reconnut le
magistrat après quelques secondes de réflexion.
— J’ai, ce matin même, interrogé le père
Boucher qui m’a déclaré ignorer que ce jeune homme devait venir le voir, poursuivit
le commissaire Louchart. Il n’était d’ailleurs pas à Paris et n’est rentré chez
lui que fort tard. Mon secrétaire vous fera parvenir mon mémoire.
— Mais, c’est impossible, monsieur !
s’insurgea Olivier. C’est Gilles qui m’avait donné l’heure et le lieu ! C’est
le père Boucher, lui-même, qui les lui avait communiqués !
— Mais Gilles est mort, ricana Louchart, puisque
vous l’avez tué !
— Je ne l’ai pas tué ! sanglota le
jeune homme, en secouant la tête.
— Brisons là, fit sèchement le procureur.
Comme le père Boucher ne peut mentir, soit ce jeune homme nous mystifie, soit
ce Gilles n’avait pas compris la réponse du père. Avez-vous interrogé les
voisins pour savoir si Olivier a été aperçu ? demanda-t-il à Louchart.
— Non, cela me paraissait inutile.
— Vous auriez dû ! J’instruis à
charge et à décharge et je dois avant tout faire apparaître la vérité. Je vais
donc envoyer un substitut le faire, et me renseigner un peu plus sur ce crime
du Petit pont.
— Je me souviens avoir parlé à un
huissier du Palais en robe noire, monsieur le procureur, intervint Olivier. On
doit pouvoir le retrouver. Il y avait aussi le voisin du libraire assassiné. Ces
gens pourront témoigner pour moi.
— Vous avez l’imagination trop fertile, mon
garçon, fit Louchart en haussant les épaules. Je propose qu’il soit jugé à l’audience
de vendredi. Dans l’immédiat, il suffit de lui appliquer la question préalable
pour connaître la vérité !
— Nous le ferons certainement, monsieur
Louchart, mais je veux d’abord disposer de toute l’information nécessaire. Jusqu’à
plus ample informé, ce jeune homme restera en cellule, sans visite possible.
Louchart s’inclina. Les procureurs, magistrats
en robe longue, avaient le pas sur lui.
Contrairement à ce
qu’il craignait, Olivier ne fut pas transféré dans son
Weitere Kostenlose Bücher