Les reliques sacrées d'Hitler
estrade, spécialement construite pour lâoccasion. Les pèlerins croyaient que le strict respect de ce pieux rituel réduirait de trente-huit ans leur séjour au purgatoire. LâÃglise leur ayant assuré que leur purgatoire pouvait durer deux mille ans, trente-huit ans de tourment en moins pour seulement une heure ou deux de dévotion, cela valait la peine. Comme les indulgences qui étaient autrefois vendues à lâéglise Notre-Dame, les insignes impériaux du Saint Empire romain germanique étaient une source importante de profit. Des milliers dâAllemands â aussi bien des princes que des chevaliers ou des serfs â ainsi que des pèlerins venus dâaussi loin que lâEspagne et le Portugal participaient aux spectacles soigneusement organisés et mis en scène par la ville et qui duraient une semaine.
La vénération des trésors et la persécution des Juifs de la ville avaient connu un regain à lâère nazie. La population juive de Nuremberg avait été déportée dans des camps de concentration. Lâhorloge et la copie des joyaux de la Couronne, en très mauvais état, furent restaurées et replacées au-dessus du Männleinlaufen, les trésors impériaux rapatriés depuis Vienne et exposés à nouveau, et la place historique du marché rebaptisée place Adolf-Hitler. Dans des livres, des magazines et même des contes pour enfants, la ville était comparée à La Belle au bois dormant des frères Grimm, dans lequel Nuremberg, la princesse endormie, aurait été une métropole magnifique et animée, plongée dans un sommeil angoissé par des Juifs maléfiques au cours du XIX e  siècle. Selon la nouvelle fable, Hitler lâavait réveillée par ses actions héroïques et la ville était sortie de son long sommeil pour redevenir une beauté pleine de vie. Lui, le Führer, était der Starke von Oben , le « fort de là -haut ».
àprésent, il y avait eu un nouveau changement de la garde. La ville était en ruines. Le Männleinlaufen nâétait plus là , cinq des vrais joyaux de la Couronne avaient disparu de la collection du Saint Empire romain germanique, un prisonnier juif de Mauthausen était le principal entrepreneur de la ville et la place avait été rebaptisée place du Général-Mike-OâDaniel.
Horn avait été envoyé dans ce purgatoire â câétait probablement ainsi que les habitants considéraient le crépuscule où ils étaient plongés â afin de retrouver les trésors impériaux pour le compte de lâarmée conquérante, tout comme lâavait fait Napoléon en envoyant des soldats pour sâen emparer, des siècles auparavant. Tant pis si les Français nâavaient pas réussi à récupérer les joyaux de la Couronne parce que les notables de la ville les avaient cachés à Vienne ou si les chances de les retrouver étaient aussi minces pour lâémissaire du général Eisenhower.
Horn ne pouvait sâempêcher de sâémerveiller de la façon dont les fantômes du passé continuaient à hanter le présent. Tout comme la disparition de lâhorloge de Nuremberg représentait une perte psychologiquement importante pour les résidents de la ville, créant un vide face auquel les habitants se sentaient désemparés et désynchronisés, le fait que les trésors du Saint Empire ne soient plus exposés avait dû également créer un vide difficile à combler. Lâhistorien de lâart qui se cachait derrière le professeur Walter Horn se demandait si la vénération de ces trésors serait la même maintenant quâune monarchie avait été remplacée par une autre, et si les événements de la guerre modifieraient leur sens et les sentiments que les résidents de la ville portaient aux insignes impériaux. Toutefois, le soldat en lui se concentrait sur la tâche la plus pressante : retrouver les objets authentiques.
Le lieutenant résista à la tentation dâentrer dans lâéglise Notre-Dame incendiée, ou de voir ce qui restait de Saint-Sébald, lâéglise protestante à proximité, où avait joué Pachelbel. Il ne visita pas non plus ce qui restait de
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