Les révoltés de Dieu
cette mystérieuse Pistis Sophia ,
qui est la sagesse divine, et que les premiers chrétiens ont honorée sous l’appellation
de « sainte Sophie », comme en témoigne la célèbre basilique de
Constantinople.
Pourquoi les gnostiques se sont-ils cru obligés de procéder
à ce retournement de valeurs ? Nul ne le sait vraiment. Tout au plus
peut-on discerner dans les thèses gnostiques l’influence de certaines
traditions iraniennes, indiennes et helléniques qui, au sein du judéo-christianisme
primitif, encore libre de tout engagement doctrinal, a conduit à un syncrétisme
assez étonnant et bien confus, dont les Cathares, toutes proportions gardées, paraissent
avoir été en partie les héritiers [18] .
Néanmoins, ce sont ces thèses gnostiques qui ont conduit les
Pères de l’Église, les véritables fondateurs de la doctrine chrétienne, à
renverser une nouvelle fois cette polarité et à faire de Lucifer l’équivalent
de Satan. L’image était parlante et, ne pouvant l’extirper des multiples
croyances qui se manifestaient au temps de la décadence de l’Empire romain, il
fallait réagir, dans un contexte où l’hellénisme avait encore une place prépondérante
et où les traditions druidiques survivaient en Occident. Reprenant le texte de
l’Apocalypse, qui montre clairement la lutte du Dragon contre la « Femme
de Soleil » c’est le « Porte-Lumière » qui a été diabolisé, comme
le seront d’ailleurs au cours du haut Moyen Âge toutes les divinités du
paganisme, ravalées ainsi au rang de « faux dieux » ou de « démons »
perturbateurs de l’ordre cosmique établi par Dieu. C’était aussi l’application
des principes bibliques, maintes fois répétés dans les livres hébraïques, selon
lesquels il était nécessaire d’extirper le Mal, sous quelque forme qu’il se
présentât, du peuple d’Israël, et cela par tous les moyens, y compris le
meurtre, les exécutions capitales ou la guerre. L’ennemi fut donc Satan, sous l’aspect
de Lucifer, aspect lumineux prétendument trompeur, devenu ensuite, dans la
mentalité populaire, le diable, présenté, quant à lui, sous une forme
monstrueuse, avec des cornes empruntées à certaines divinités celtiques, comme
le fameux Kernunnos des Gaulois, ou des sabots de cheval comme les Centaures de
la mythologie grecque. Avec cela, il était également normal de diaboliser la Diane latine, qui hantait les forêts
pendant la nuit, et qui n’était que le pâle reflet de l’Artémis des Grecs, antique
divinité solaire primordiale détrônée par son frère Apollon : elle devint
la « parèdre » de Satan et présida bien entendu les sabbats avec lui.
Mais derrière l’image de Diane, liée à la lune, se profilait toujours celle d’Hécate,
la redoutable et ambiguë déesse grecque des carrefours. Et l’on sait que c’est
toujours en pleine nuit, aux carrefours les plus sombres, qu’on rencontre le
diable, et que c’est là que le « tentateur » propose aux humains
égarés des pactes trompeurs qu’il faut signer avec son propre sang.
Ainsi est apparue ce qu’on pourrait appeler la « saga »
de Lucifer, le plus beau des archanges, la plus lumineuse des entités célestes,
révolté par orgueil contre Dieu, ivre de pouvoir, vaincu et précipité dans les
Ténèbres ou, au sein de la Terre, dans un « lac de feu et de soufre »
où il est tourmenté « jour et nuit dans la pérennité des pérennités »
( Ap. XX, 10 ). Mais le texte de l’Apocalypse
pose bien d’autres problèmes, car le Satan, s’il est vaincu et lié par l’archange
Michel, ne l’est quand même pas éternellement : son enfermement ne durera
que mille ans, durée évidemment symbolique – ce qui engendrera une croyance
aberrante : le millénarisme . En effet, « quand
les mille ans seront accomplis, Satan sera délié hors de sa prison. Il sortira
pour égarer les nations aux quatre coins de la Terre, le Gog et Magog, pour les
pousser à la guerre » ( Ap. XX, 7-8 ).
C’est pourquoi la lutte entreprise par saint Michel contre le Dragon des profondeurs
est une lutte perpétuelle qui ne trouvera son terme qu’à la fin des temps.
D’ailleurs, les démons existent, sinon dans la réalité quotidienne,
du moins dans les couches les plus profondes de l’inconscient humain. Un
étrange texte apocryphe chrétien, probablement compilé au IV e siècle, intitulé Les Actes de Philippe, en
fait état. Le récit met en scène
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