Les révoltés de Dieu
souffle qui passait le fit tomber plus bas. » L’intensité de la
malédiction atteint son paroxysme lorsque Hugo décrit Satan qui, après avoir vu
les soleils s’éteindre les uns après les autres, espère encore en la lueur d’une
étincelle. Mais cette étincelle disparaît à son tour :
« Et l’archange comprit, pareil au mât qui sombre,
Qu’il était le noyé du déluge de l’ombre ;
Il replia son aile aux ongles de granit
Et se tordit les bras. Et l’astre s’éteignit. »
La plus grande souffrance est-elle celle de la privation de
la lumière, c’est-à-dire de la présence de Dieu ? C’est en tout cas ce que
Victor Hugo, dans ses vers hallucinés, semble proposer à notre méditation. Il
ne sert à rien de se révolter contre Dieu, car Dieu est le Tout absolu, et le nier, c’est se nier soi-même. Certes,
Hugo se livre ici à une interprétation toute personnelle de la tradition
concernant la révolte des anges et leur condamnation aux ténèbres absolues, mais
dans l’ignorance où nous sommes de ce qui s’est réellement passé avant la création du monde , nous ne pouvons que
partager cette vision hugolienne, parce qu’elle témoigne de notre effarement
devant l’existence du Mal.
2
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Prométhée
Le personnage fort célèbre de Prométhée est devenu le symbole
de l’homme révolté, tout au moins de celui qui n’accepte pas le destin et qui
va toujours plus loin dans ce refus. À l’analyse, le personnage se révèle
beaucoup plus complexe qu’on ne le croit généralement. Certes, il est devenu
une image parfaite de la créature entièrement responsable de ses actes, mais
cette assimilation de l’humain à Prométhée provient d’une vision très
réductrice due à l’humanisme occidental, selon lequel l’homme ne peut atteindre
son épanouissement qu’en s’affranchissant des dieux. Cette vision paraît d’ailleurs
ne pas correspondre au mythe primitif. Prométhée n’est en effet pas un homme mais une divinité ,
même si les Grecs de l’Antiquité ne l’ont jamais honoré seul, ne lui ont jamais
consacré de temple spécifique, et ne lui ont rendu hommage qu’en compagnie d’autres
divinités, tels Athéna et Héphaïstos. On pourrait même dire que tout ce qui
concerne Prométhée a été plus ou moins occulté dans la tradition hellénique
parce que les Grecs ont craint que la grandeur du personnage et sa puissance
créatrice ne fissent ombrage aux Olympiens, figures de proue de la religion
officielle. Il en a été de même pour la Lilith hébraïque, disparue des textes
canoniques, ou encore, dans le cadre du christianisme, de la Marie de Magdala, vraisemblablement
l’une des premières disciples de Jésus, rendue plus mystérieuse encore par le
fait qu’on ait voulu y voir trois personnages différents, et qui a été
proprement « jetée aux oubliettes » parce qu’elle dérangeait.
D’abord, il convient d’affirmer que le mythe de Prométhée n’est
pas grec, pas plus que celui de Dionysos, pas plus que celui de l’Artémis
primitive, ou encore que celui de l’Apollon hyperboréen, vainqueur de Python, c’est-à-dire
de la déesse Terre, et qui, en une période récente, a supplanté le véritable
dieu solaire Hélios, lui-même résultat de la masculinisation de l’Artémis-Diane
archaïque. Le mythe de Prométhée est sans aucun doute originaire du Caucase et
il est une des réminiscences des traditions répercutées autrefois par des
peuples indo-européens d’Asie centrale, en particulier les Scythes et les
Sarmates, sans compter leurs lointains descendants que sont les Ossètes des
temps modernes.
D’après la Théogonie d’Hésiode,
la plus ancienne source à ce sujet, Prométhée est un des Titans descendant du
premier enfant d’Ouranos et de Gaïa, dont le nom était précisément Titan, et
qui était le frère aîné de Khronos. Mais Titan renonça à son droit d’aînesse (ce
qui n’est pas sans rappeler l’épisode biblique de Jacob et Ésaü) en faveur de
Khronos, à condition que celui-ci dévorât ses enfants, afin que les descendants
de Titan pussent ensuite régner tant sur le monde des dieux que sur celui des
humains. Voilà pourquoi Khronos avalait les enfants de Rhéa dès leur naissance.
Et l’on sait que seul Zeus échappa au sort de ses frères et sœurs, évinçant son
géniteur et l’obligeant à donner une nouvelle vie à ceux qu’il avait cru
éliminer.
Prométhée, fils de Japet, est
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