Les révoltés de Dieu
de la Genèse, met en scène des divinités terrifiantes, acharnées
à perdre les humains qui s’obstinent à vouloir devenir leurs égaux, sinon à les
dominer. Les Élohîm hébraïques sont de la même trempe. Les vengeances
successives de Yahvé valent bien celles de Zeus. C’est la conséquence de la « création »,
le « créateur » risquant toujours d’être dépassé par sa « créature ».
C’est l’éternelle histoire, répercutée dans de nombreux contes populaires, de l’ombre
qui finit par prendre le dessus sur l’homme et qui élimine ainsi son créateur. Ce
système métaphysique remonte, semble-t-il, très loin ; il est incontestablement
présocratique : Héraclite, pour contrer Parménide qui croyait en l’unité
et en l’immutabilité de l’être, affirmait en effet que « rien n’est »
et que « tout devient », que « tout se meurt et s’écroule »,
et que, finalement, « tout est tout ». C’est-à-dire rien. La philosophie grecque est d’un extrême
pessimisme, et l’on en retrouve les traces évidentes dans le jansénisme du XVII e siècle, en particulier dans les tragédies de
Racine : si tout est tout, tout est fixé d’avance et il est inutile, comme
le prouve la légende d’Œdipe, de lutter contre les dieux, puisque ceux-ci sont
eux-mêmes soumis à l’ Anagkê , la « nécessité »,
le Fatum des Latins, le destin.
La tradition concernant Prométhée ouvre certes une voie vers
l’espérance. Celle-ci deviendra, dans la doctrine chrétienne, une vertu
théologale. Mais ce n’est pas le cas chez les Grecs de l’Antiquité où tout
existant est voué à l’Enfer décrit par Dante, enfer à la porte duquel on peut
lire cette phrase : « Vous qui franchissez ce seuil, abandonnez toute
espérance. » L’espérance est un leurre, tel est le message qui demeure enfermé
dans la boîte de Pandore. À moins que… D’où l’ambiguïté fondamentale du mythe
de Prométhée.
Car ce mythe est resté profondément gravé dans la mémoire de
l’humanité. On le retrouve, diversement exprimé, à travers de nombreuses
traditions populaires orales. L’une d’elles est particulièrement intéressante
car elle met en scène des personnages qui n’apparaissent pas dans le récit
primitif, mais qui expriment la même volonté humaine de dérober leur secret aux
divinités. Il s’agit d’un conte populaire provençal recueilli à la fin du XIX e siècle, et qui prouve d’ailleurs de manière
éloquente l’existence d’un substrat hellénique très vivace dans ce qu’on
appelle communément le « folklore » des régions méditerranéennes.
Là, nous ne sommes plus à l’aube de l’humanité, mais dans un
contexte parfaitement chrétien, ce qui est tout à fait normal pour un conteur
qui s’adresse au public de son époque et qui adapte constamment les données du
mythe à la compréhension de son auditoire. Et l’humour n’est certes pas absent
de ce récit. Qu’on en juge : « Un jour, Dieu se mit en colère contre
les hommes parce qu’ils se livraient à tous les débordements. Ils étaient
cruels et dissolus, mais cela aurait été peu de chose aux yeux du Tout-Puissant
s’ils avaient été moins gourmands. En effet, ils faisaient ripaille en carême, quatre-temps,
vigiles, comme aux autres époques de l’année. L’odeur de la friture et du rôti
était devenue si forte qu’on en était incommodé au Paradis. »
Cette histoire semble en contradiction complète avec les
textes sacrés, y compris la Bible, où les dieux hument avec un évident plaisir
l’odeur des festins humains et des sacrifices, tel celui d’Abel. Mais les
choses étant ce qu’elles sont, pour punir les humains de leurs débordements, Dieu
décide de leur supprimer le feu, ce don inestimable d’énergie qui leur permet
de transformer la matière. « Plus de soupe, plus de rôti, plus de café, et
il était impossible de fumer une bonne pipe ou un bon cigare : la terre
devint triste comme un tombeau. » Et le problème s’aggrava : car les
humains, redevenus des bêtes, se nourrissant exclusivement de crudités, s’occupaient
de moins en moins de religion. La situation devenant intenable au Paradis, l’archange
Gabriel propose de descendre sur terre et de vendre le feu à tous ceux qui, en
échange, prendront l’engagement de mener une vie saine et pieuse.
Voici donc que l’archange s’installe sur un marché de
village, « devant des
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